Beaucoup l’ont découvert avec le procès imam Ndao, mais il est avant tout un avocat d’affaires, même s’il se définit aussi comme un observateur de la vie politique. C’est à ce titre, qu’il décortique l’actualité, notamment sa famille judiciaire, mais également les questions polémiques comme le parrainage et surtout les contrats pétroliers.
Comment appréciez-vous les accords que l’Etat a signés avec les multinationales pour l’exploitation du pétrole et du gaz?
Me Moussa Sarr: L’Etat est obligé de signer avec les multinationales parce qu’elles ont l’expertise et les moyens financiers. Maintenant, le problème, c’est lorsque l’Etat négocie il doit se faire accompagner par différents spécialistes des questions pétrolières et des avocats pour éviter de signer des contrats léonins.
Je ne sais pas si l’Etat l’a fait. Mais nous avons toutes ces expertises : si c’est pour la rédaction des contrats nous avons d’éminents avocats d’affaires et beaucoup de Sénégalais ont fait les grandes écoles de pétrole du monde. Si l’Etat ne l’a pas fait, l’Etat a failli. Il devait le faire. Signer avec les multinationales c’est inévitable en l’état actuel des choses. Mais l’essentiel c’est de prendre l’intérêt des Sénégalais mais il faut de l’expertise et du patriotisme.
Que pensez-vous des concertations sur le pétrole et le gaz boycottées par l’opposition?
Lorsqu’il s’agit d’une question qui concerne tous les Sénégalais, qui conditionne leur présent ainsi que l’avenir de ce pays et surtout les générations futures, le boycott n’est pas la bonne posture. Il est tout à fait normal que l’opposition «significative » estime que cette concertation est arrivée tardivement, elle devait se faire en amont, au moment où on engageait le pays dans des signatures de contrats pétroliers et gaziers énormes qui durent sur des décennies.
Mais cela étant fait, tout le monde l’a dénoncé, moi-même, en tant que citoyen, je dénonce cette approche. Lorsqu’on discute des questions d’intérêt national, il faut une approche participative et inclusive pour donner de la légitimité aux actes que le gouvernement pose. Parce que le plus important, c’est moins la légalité que la légitimité lorsqu’on a la responsabilité de gérer un pays ou une quelconque structure il faut toujours avoir à l’esprit de faire en sorte que l’ensemble des actes que je pose soient légitimes.
Maintenant, dès lors qu’il estime qu’il est ouvert au dialogue pour discuter des retombées pétrolières je dis tant mieux. Nous espérons que cela ne soit pas de la politique politicienne, mais une invite sincère. Il est toujours possible de faire un rattrapage en essayant de discuter avec tous les segments de la société pour voir la meilleure formule possible pour gérer les ressources qui peuvent changer fondamentalement le visage de notre pays à tout point de vue.
L’opposition reproche au pouvoir de le mettre devant le fait accompli, n’a-t-elle pas raison de boycotter pour ne pas valider des choses faites en son absence ?
Il ne s’agit pas de valider parce qu’en tout état de cause, il appartient au régime en place de signer des contrats, il n y a pas de débats parce que c’est le peuple qui l’a désigné. Mais il doit gouverner en tenant compte de l’opinion de tous les Sénégalais. Il ne peut pas avoir une démocratie sans dialogue, ni concertation. A partir de ce moment, il est impératif dans un Etat démocratique.
Même si on bénéficie de la légitimité populaire, sur des telles questions, il faut discuter. Donc, l’opposition a parfaitement raison sur le principe. Mais, il n’est jamais trop tard. Il reste le volet relatif aux retombées financières, l’opposition n’a qu’à venir dénoncer ce qu’il y a lieu et donner son avis pour que demain, devant le tribunal de l’histoire qu’ils puissent dire : nous avions donné notre avis mais le régime en place a pris ses responsabilités de ne pas en tenir compte. Un boycott n’a jamais été profitable au peuple, à fortiori lorsqu’il s’agit de discuter des questions d’intérêt national.
Pensez-vous que le président Macky Sall aurait pris en compte l’avis de l’opposition ?
Je ne peux pas anticiper sur cette question, je ne suis pas dans l’esprit du régime, je parle au niveau des principes, de ce qui est souhaitable. Maintenant, vous soulevez une question intéressante; je pense que le régime a un problème de confiance fondamentale avec une partie de l’opposition. Il est assez soupçonneux et suspicieux, ce qui n’est pas souhaitable dans une démocratie. Une certaine partie de l’opposition n’a pas confiance au régime. Ce qui fait qu’il y a un dialogue de sourd.
Je le disais tantôt, le socle d’un régime démocratique, c’est le dialogue et la concertation. Mais si les acteurs ne se font pas confiance, il est très difficile d’instaurer un dialogue. Maintenant, il faudrait que ces acteurs construisent un climat de confiance pour pouvoir discuter de l’intérêt du pays parce que lorsqu’on crée un parti politique ou lorsqu’on exerce des responsabilités au niveau de l’Etat c’est pour satisfaire les besoins des populations. Donc qu’on soit du pouvoir ou de l’opposition, c’est le même objectif à ce que je sache. Par conséquent, il faut qu’ils travaillent à créer d’abord la confiance et identifier ensuite des plages de convergences d’intérêt national.
Lors des discutions sur le code électoral, le pouvoir a imposé le parrainage contre l’avis de l’opposition
Dans une discussion on n’est pas d’accord sur tout, il faut qu’on soit clair sur ça. L’important c’est celui qui appelle soit sincère. Et ensuite tous les acteurs viennent autour de la table, maintenant chacun fait des propositions. Mais, il reste qu’en dernier ressort et cela aussi n’est pas discutable, il appartient au régime de faire des choix. Maintenant, il peut le faire dans l’intérêt du peuple comme il peut faire des choix qui ne relèvent pas de l’intérêt général, qui peut être perçu comme un choix partisan.
Mais il faut participer et dénoncer cela et continuer le combat politique. Je suis un simple observateur de la vie politique, mais je sais que rien ne se donne, tout s’arrache de mener le combat de manière inlassable. Il appartient aux autres acteurs de créer les conditions politiques pour faire prévaloir leurs points de vue politique.
En politique, tout est question de rapport de force. Il faut être là et même si son point de vue n’est pas pris en compte on continue de travailler sur le terrain pour faire changer les choses. C’est ça la démocratie, c’est ça aussi l’intérêt du peuple.
Ce manque de dialogue a mis le pays dans une situation délétère et tous les ingrédients sont réunis pour un contentieux post électoral. Que prônez-vous ?
Nous le constatons, depuis bientôt un an, on est en train de percevoir les germes d’une contestation future et notre pays n’a pas besoin de cela. On vote au Sénégal depuis plus de 100 ans, nous avons quand même une démocratie mûre. Maintenant le seul problème, c’est que nous avons une démocratie électorale.
C’est-à-dire ?
Toute la démocratie tourne autour des élections, des questions de transparence, de cartes d’identité, de fichier, etc. Les élections sont un moment extrêmement important dans la vie démocratique parce qu’elles permettent à la démocratie de respirer, de créer les conditions d’une alternance, d’un renouvellement d’une classe politique, c’est important.
Mais tout ne doit pas tourner sur les élections. On ne peut pas continuer à discuter du fichier électoral et de cartes d’identité. Les acteurs politiques doivent nous aider à régler ces petites querelles politiques, nous avons besoin de véritables débats politiques fondés sur une vision, un projet politique qui pourrait mettre notre pays sur les rampes du développement.
C’est le véritable débat et non le débat électoraliste où chacun cache son jeu pour se maintenir ou accéder au pouvoir. L’essentiel c’est de stabiliser notre démocratie et cela passe par la mise ne place de règles du jeu transparentes qui permettent des élections libres sur des décennies et qu’on ne parle plus de politique. On est un pays démocratique, c’est vrai, mais il y a un déficit de culture démocratique, ce qui nous fait perdre énormément de temps et pollue l’atmosphère politique.
Il faudrait que les acteurs et les élites travaillent à mettre en place une culture politique et après qu’on puisse immédiatement s’attaquer aux questions de développement parce que c’est ça l’urgence et non plus des questions élections à n’en plus finir parce que depuis 20 ans on ne parle que de ça.
Que pensez-vous de la loi instituant le parrainage à la présidentielle ?
Sur le principe je ne suis pas contre, parce que j’estime que vu la pléthore de partis politiques, quasiment 300, pour un pays de moins de 15 millions d’habitants il y a un encombrement dans l’espace politique de telle sorte que le citoyen n’a pas la possibilité d’avoir une vision claire des offres.
Le parrainage peut être utile parce qu’il peut être un système pour réguler l’espace politique parce qu’on se rend compte qu’il y a une caste politique, qui fait de l’entreprenariat politique alors que la politique n’est pas un métier. Mais, elle n’est pas opportune en ce moment.
Si au moment du référendum la question était posée il n y aurait pas de débat, on ne peut pas attendre à moins d’un an de la présidentielle, même si les textes de la Cedeao parlent de moins de six mois, ce n’est pas sain de voter cette loi. Parce que ça crée une suspicion, un doute. Et en démocratie, surtout à la veille d’élections, lorsqu’on met un place une institution ou une réforme de nature à créer un climat de suspicion entre les acteurs, ça peut créer des problèmes. Si qui fait d’ailleurs qu’on s’attend un peu à des contestations électorales.
Le moment n’est pas opportun, en plus avant de prendre cette mesure qui a un impact important sur le champ politique par conséquent, on ne peut pas prendre une telle mesure sans discuter avec les acteurs et les expliquer les tenants et les aboutissants sinon une certaine classe politique pense que c’est un jeu politicien pour essayer de créer les conditions pour permettre au président de la République de passer au 1e tour.
Vous êtes avocat, que pensez de la justice ?
Nous avons beaucoup d’attentes, des attentes fortes.
Quelles sont-elles?
Il y a une réforme entreprise qui est de revoir la carte judiciaire pour rendre accessible la justice aux justiciables. C’est dans ce cadre qu’on a créé le tribunal de Grande instance de Pikine et de Mbour. Mais, il ne s’agit pas seulement de revoir la carte judiciaire mais doit aussi donner des moyens conséquents à la justice pour rendre efficace cette mesure-là, sinon elle ne sera pas efficace. Allez au tribunal de Grande instance de Pikine certains magistrats n’ont pas de bureau et la salle d’audience n’est pas digne d’un Etat comme le Sénégal avec des juges et avocats prestigieux.
La deuxième chose, c’est qu’il y a un élément d’instabilité avec la question du greffe. Quand le justiciable arrive au tribunal son premier interlocuteur en général c’est le greffier et depuis une décennie l’Etat discute avec les greffiers, prend des engagements de principe qu’il ne respecte pas et cela crée un élément de perturbation du système judiciaire.
Tout le temps, il y a des grèves, il faut que le gouvernement se penche sérieusement sur la question du greffe en renforcement ses moyens mais aussi en réglant les revendications et voir ce qu’il est possible de faire.
Il y a une réforme essentielle : dans notre système judiciaire le parquet est trop puissant. Pour un oui ou un non vous êtes amené en prison en mis sous mandat de dépôt, alors que la liberté devrait être le principe. Mais dans notre pays, dans la pratique, la liberté est l’exception quand vous êtes en conflit avec la loi. Dans un Etat de droit comme le Sénégal il n’est pas admissible pour un oui ou un non alors que parfois ça ne s’impose pas, vous présentez tous les garanties de représentation on vous amène en prison.
Dans ce chantier c’est extrêmement important pour contrebalancer la toute puissance du ministère public de créer le juge de la liberté et de la détention pour permettre à chaque fois que le parquet décide en envisage de mettre quelqu’un en prison qu’il ne puisse pas le faire sans au préalable que le juge de la liberté et de la détention puisse se prononcer sur la question devant des avocats et l’affaire soit plaidée.
Sinon, quelque part, on peut penser qu’il y a des abus dans le placement en détention. Nos prisons sont encombrées et ce n’est pas parce que le Sénégal est criminogène et délictogènes. Il est vrai qu’il y a des crimes et délit, mais il y a un excès dans les mandats de dépôts du parquet. Et pour réguler cela et notre Etat de droit justifie aujourd’hui qu’on mette en place le juge de la liberté et de la détention pour qu’on ne puisse sur la base d’une simple d’un procureur dans son bureau mettre quelqu’un en prison. Cela est contraire aux libertés et aux droits de l’homme.
Quel est le chantier le plus urgent?
L’autre chantier important c’est de revoir le conseil supérieur de la magistrature dans un Etat ou tout tourne autour de la présidence, le président de la République a d’autres priorités que de siéger au CSM. Le président de la République peut sortir du CSM. On peut également l’étoffer en intégrant d’autres segments de la société parce que la justice est l’affaire de tout le monde. On les intégrera soit avec voix consultative soit avec voix délibérative pour permettre d’améliorer son fonctionnement.
Mais les Sénégalais ont l’impression que la justice est aux ordres de l’Exécutif, c’est votre cas?
C’est une simple perception que je ne partage pas. Je sais qu’il y a des problèmes comme dans d’autres secteurs, c’est des êtres humains, je viens de vous dire qu’il y a un déficit de moyens mais quand même nous avons une bonne justice dans le principe mais qui doit être améliorée. En tant qu’acteurs nous devons être en quête pour la renforcer.
Ce qui est à l’origine de cette perception c’est que nous avons une perception politique de la justice qui fait que lorsqu’elle est en conflit avec certains politiques, immédiatement ont dit qu’elle est sous le joug de l’Exécutif. C’est le même débat en France. Quand François Fillon a des démêlées avec la justice toute la droite a dit que la justice n’est pas indépendante. Sarkozy vous l’entendez tous les jours, c’est une vision qu’on a hérité de la France.
Mais il y a des problèmes et il y a une tentative, et ce n’est pas aujourd’hui, l’Exécutif, les pouvoirs d’argent, les groupes de pression essaient toujours d’influencer le cours de la justice, ce n’est pas l’apanage de l’Exécutif. Maintenant, il appartient de mettre en place un cadre où on permet aux acteurs malgré les tentatives d’avoir la possibilité de dire le droit.
Et le juge du siège, je ne parle pas du parquet, à la possibilité, quel que soit le type d’influence de dire le droit parce qu’au moment où il est dans son bureau pour délibérer il est seul devant sa conscience, la loi et Dieu. Nous avons des textes qui peuvent être améliorés et qui permettent en l’état actuel au juge du siège de dire le droit en toute indépendance et en toute liberté.
Est-ce à dire que le débat sur l’indépendance de la justice est un faux débat ?
Non, je ne dirai pas que c’est un faux débat, je dis qu’on peut améliorer et renforcer l’indépendance des magistrats, mais les magistrats du siège sont indépendants pour qui veut l’être.
Mais l’ancien juge Dème a décrié la magistrature et a démissionné
C’est son droit. Un fonctionnaire qui travaillait et qui un certainement a estimé que peut-être ses attentes ont été déçues, c’est son droit d’en tirer les conséquences.
Mais est-ce que cette démission n’est pas symptomatique de la crise dans le secteur ?
Non je ne le pense, on peut considérer que c’est une alerte. Il y a des problèmes dans la justice comme partout ailleurs. Je ne minimise pas cette démission mais je ne la donne pas une certaine qualification. La question de l’indépendance de la justice est consubstantielle à la justice.
Comment?
Dès qu’on arrêtera de se pencher de la question de l’indépendance ou d’y réfléchir, le danger va nous guetter. Depuis la nuit des temps cette question se pose et continuera à se poser. Mais ce n’est pas outre mesure inquiétant même s’il faut de temps en temps faire des réglages.
Vous vous définissez comme un observateur politique, est-il envisage de descendre dans l’arène politique?
Pour le moment, ce n’est pas mon ambition. Mes activités d’avocat d’affaires ne me laissent pas de temps pour la politique. Maintenant, je suis un observateur très intéressé de la vie politique parce qu’elle conditionne mon présent et notre futur. On a des reproches envers une certaine classe politique, mais ne tiens à saluer une autre qui s’est engagée depuis des années et qui a fait du pays ce qu’il est et qui se sacrifie nuit et jour.
Comment expliquez le fait que l’Etat se glorifie d’un taux de croissance de 7,2% alors qu’au même moment, la moitié du pays est dans l’insécurité alimentaire ?
L’insécurité alimentaire n’est pas une nouveauté pour moi, ça arrive souvent parce que nous avons une agriculture sous pluie et de certaines intempéries, c’est pourquoi il est arrivé de temps à autre qu’il ait l’insécurité. Maintenant, quand on gouverne il faut prévoir, il appartient à l’Etat de s’organiser de manière permanente pour faire face.
Il est vrai que tous les jours nous entendons un taux de croissance de 7,2% ça c’est les chiffres. Je ne suis pas un économiste, je suis un juriste d’affaires, mais il y a un décalage entre ce taux de croissance, la réalité et le quotidien des Sénégalais. Malgré ce taux de croissance relativement élevé une bonne partie des Sénégalais vit dans la précarité pour ne pas dire dans la pauvreté. Il faut que l’Etat essaie de voir comment faire profiter à la majorité des citoyens les fruits de cette croissance, met en place des filets sociaux pour réduire cette précarité.
Mais cela, ne me surprend pas les secteurs qui tirent la croissance sont extravertis, ce sont des entreprises qui appartiennent à l’étranger et globalement la France. Donc, l’essentiel des revenus vont en dehors du pays, ne profitent pas aux Sénégalais.
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