«Ce serait faire preuve d’un optimisme excessif que de croire en une croissance de l’économie sénégalaise de 3% en 2020 comme récemment annoncée. Il convient plutôt de préparer la Nation à une récession économique (baisse du PIB significative) et au mieux à une croissance du PIB qui ne saurait être supérieure au croît démographique. Les Sénégalais doivent prendre conscience d’une augmentation inévitable de la pauvreté et être mis dans une attitude de mobilisation pour reconstruire une économie dont on constatera inévitablement qu’elle aura été très affectée par la crise du Covid-19.
Il faut à tout prix éviter les projections de croissance trop optimistes qui porteraient des lendemains de grosse déception. Partout dans le monde les pays annoncent des récessions économiques de grande amplitude. Partout la demande et l’offre baissent tandis que le chômage bouscule des records.
Concernant le Sénégal, à défaut de disposer d’outils pointus permettant de déceler dès à présent les conséquences de la situation due au Covid-19 sur le taux de croissance en 2020, on peut au moins s’interroger sur les conséquences probables de faits évidents, déjà identifiables ou à venir.
Quel moteur de croissance en 2020 et 2021 ? On se souviendra que dans le cadre de l’Instrument de Coordination des Politiques Économiques (ICPE), le relatif essoufflement de l’État, jusque-là présenté comme l’acteur principal de la croissance sénégalaise par l’investissement public, imposait de passer le relais au secteur privé, nouvelle locomotive de la croissance sénégalaise à relever au taux de 7%. Il s’agit aujourd’hui de sauver du désastre ce secteur privé sur lequel reposaient les espoirs de croissance par des actions de l’État qui vont nécessaire amoindrir les capacités de ce dernier en matière d’investissement. La priorité consiste désormais pour l’État à apporter son soutien au maintien de l’outil de production – en évitant de trop nombreuses faillites – et à la sauvegarde de l’emploi
La croissance économique du Sénégal sera donc nécessairement en berne du fait d’une part de l’incapacité du secteur privé national à tirer vers le haut l’investissement et la croissance, et d’autre part à l’affaiblissement plus que prévu de la capacité de l’État à investir.
En outre, le caractère mondial de la crise économique et son importance, également les réflexes déjà annoncés de remise en cause partielle des principes de délocalisation industrielle, conduisent tous les analystes à prévoir une baisse importante de l’investissement direct étranger (IDE).
Au-delà du cadre macroéconomique, l’analyse sectorielle des principaux piliers de l’économie sénégalaise impose aussi de se montrer pessimiste en matière de croissance pour l’année 2020 et même pour celle qui suivra.
L’agriculture sénégalaise a été négligée. Les fausses statistiques ont été préférées à une véritable stratégie de son développement. Au plan des statistiques, les performances annoncées, bien que non conformes à la réalité, sont celles qui ont construit une partie de la croissance de notre PIB. Il est impossible de poursuivre leur gonflement alors que les réalités – comme celle de la notoire insuffisance de graines d’arachide disponibles pour l’industrie d’huilerie – imposent désormais de la réserve à défaut d’un retour à la réalité. A titre d’exemple, il est devenu impossible de fixer la production d’arachide à plus de 1,4 millions de tonnes. Impossible aussi de maintenir ce niveau de production sans verser dans le ridicule.
L’agriculture sénégalaise sera tout au plus stagnante.
L’industrie d’extraction ne pourra compter sur une hausse des cours mondiaux à l’exception de l’or redevenue valeur refuge. Il faut d’ores et déjà tenir compte d’un décalage possible des prévisions d’investissement et de mise en exploitation dans le secteur pétrolier et gazier compte tenu des réajustements déjà annoncés par quelques majors.
L’industrie manufacturière subira les conséquences d’une contraction de la demande des ménages du fait de pans de l’économie en difficulté conduisant à des licenciements et à du chômage technique mais aussi d’une baisse très importante des transferts reçus de l’extérieur.
Toutes les activités liées au tourisme et au transport aérien, piliers de l’économie sénégalaise, vont s’effondrer. Le redressement du tourisme sera très lent en raison de la baisse des revenus dans les pays d’origine des touristes et de leur crainte de risque résiduel de contamination même après la fin des confinements à l’échelle mondiale.
Le secteur du commerce et des services sera très largement impacté par les réflexes de sédentarisation et de confinement, par l’État d’urgence et le couvre-feu.
Le secteur des télécommunications pourrait par contre mieux se tirer d’affaire, les communications se substituant aux contacts interdits ou refusés.
La baisse des transferts de la diaspora aura un impact considérable sur la demande des ménages. Elle pourrait atteindre entre 35 et 50%, ce qui représenterait près de 500 milliards fcfa. La baisse des revenus des expéditeurs qui sont les plus gros contributeurs – parce que résidant dans les pays les plus touchés par la crise du covid-19 (France, Espagne et Italie) – rend très pessimiste sur les montants qui seront perçus en 2020. Il faut rappeler que les transferts d’émigrés sénégalais représentent 10% du PIB du Sénégal, ce qui est considérable.
En raison de tous ces constats, il ne peut être raisonnable d’envisager une croissance de l’économie qui serait ramenée de 7% (taux qui fut déjà contestable) à 3%. Ce dernier taux fut d’ailleurs annoncé trop tôt, à un moment où les conséquences de la crise ne pouvaient encore être correctement évaluées, pour pouvoir être crédible.
Le réalisme devrait plutôt conduire à retenir que l’économie sénégalaise entrera en récession en 2020. A défaut de le croire, il serait au moins raisonnable de l’envisager et de préparer sa remise en route et sa reconstruction au moins dans le court terme. Il vaut mieux retenir cette éventualité, et demain se réjouir de pronostics trop pessimistes plutôt que d’annoncer une croissance de 3% qui jamais ne viendra.
Dès à présent, la remise en activité de notre économie doit être préparée. Elle doit être centrée autour des secteurs dont nous avons la plus grande maîtrise, et en particulier l’agriculture et le tourisme intérieur.
Des comités techniques pluridisciplinaires doivent être mis en place dans cet objectif. Pour ce qui concerne l’agriculture l’urgence est immédiate en prévision de la prochaine saison des pluies.
Le projet de relance agricole doit être articulé autour du marché intérieur, principalement par l’augmentation des rendements et de la production des céréales et des légumes. Aussi le renforcement de l’embouche pour obtenir la croissance des différents cheptels. Les bras libérés par la crise économique doivent être encouragés à redevenir disponibles pour l’exploitation agricole au sens large.
La campagne agricole 2020 doit être méticuleusement préparée. Les considérations politiciennes qui gênent la distribution optimale des engrais et des semences de qualité doivent être totalement exclues. Face à l’incertitude spécifique à toute saison des pluies, un suivi particulier doit concerner l’utilisation de tout périmètre irrigué recensé sur le territoire national à des fins de production.
Le projet de relance du tourisme doit concerner avant tout le tourisme intérieur. Celui de l’accueil des étrangers pourraient être très lent à reprendre car le Covid-19 laissera des budgets à reconstituer et des peurs de voyage à l’étranger à lever. Les professionnels devront concevoir un plan de promotion de leur activité par des tarifs particulièrement attrayants. Les résidents constituant la clientèle locale, au sortir du confinement relatif et de l’état d’urgence, auront besoin de « dépaysement ». L’offre touristique se souciera toutefois de rassurer en garantissant une sécurité « sanitaire » par le maintien des attitudes de protection au sein des réceptifs. L’État prendra soin d’expliquer aux citoyens l’importance de leur contribution à la relance du secteur par leurs dépenses de vacances locales.
Outre ces deux « projets de relance sectorielle », l’État devra se montrer attentif à toutes suggestions de reprise et de relance d’activité venant des secteurs et des acteurs. Il devra aider à la conception de plans sous-sectoriels de reprise d’activité. La logique dominante consistera à rechercher de manière systématique le maximum de plus-value locale comme condition d’apport de l’aide de l’État. Ce ne sera pas une démarche consistant à se recroqueviller sur soi-même. Ce sera le respect d’une nouvelle logique globale qui portera la reprise des économies nationales à travers le monde au lendemain de la crise du Covid-19.
Le cas particulier de notre future industrie pétrolière et gazière doit faire l’objet de toutes les attentions. Les perturbations sur le marché des hydrocarbures vont engendrer des attitudes de réserve et de recul de la part des compagnies concernées par l’exploitation des permis pétroliers et gaziers. Leur désengagement – espérons temporaire – a d’ailleurs commencé à avoir lieu. L’État du Sénégal doit préparer les réponses juridiques à mettre en œuvre dès que la fin des confinements devra conduire au maintien du respect des engagements qui les lient.
Enfin, durant cette période et sans aucun doute bien au-delà, il faudra mettre en place au bénéfice des populations vulnérables une juste réponse à l’augmentation de la pauvreté, mais également apporter la riposte adéquate à l’extension des zones d’insécurité alimentaire.