«Si le FMI valide ou félicite, vous êtes mort», selon l’économiste Meissa Babou

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RFI : Avec l’annonce du retrait de Macky Sall, est-ce qu’une nouvelle période s’ouvre pour l’économie sénégalaise ?

Meissa Babou : Apparemment oui, parce qu’un régime politique, c’est forcément un programme. Entre la SCA (stratégie de croissance accélérée) du président Wade et le PSE (plan Sénégal émergent) du président Macky Sall, on comprend que les options ne sont pas les mêmes. Par conséquent, si demain on a une autre alternance, il faudra s’attendre à un changement de paradigme. De mon point de vue d’économiste, je pense qu’il faut changer beaucoup de choses. Quand on vit dans ce pays, on ne comprend pas comment on peut arriver à des difficultés et une pauvreté absolue, tellement il y a de l’argent, tellement on s’est endetté. Les orientations politiques sont l’apanage de chaque régime, je crois qu’il y aura forcément un changement de cap.

Pour le moment, Macky Sall prône plutôt la stabilité, en tout cas jusqu’à la fin de mon mandat.

Je crois que dans les mois qui nous séparent des élections, il n’a plus le temps de faire autre chose. Il a poursuivi les efforts sur le plan des infrastructures que le président Wade avait débutés. Bravo, mais quelque part, le Sénégalais lambda se demande si ça sert réellement l’économie parce qu’il souffre stoïquement. Il y a un chômage massif, des problèmes de survie, même chez nous. Macky Sall a déjà fait ce qu’il pouvait faire. Il y a des bons points, il y a des mauvais points.

Parmi les bons points à mettre à l’actif de Macky Sall et de ses gouvernements, il y a le développement d’infrastructures : un aéroport, des chemins de fer, des autoroutes, des ports, l’amélioration de la couverture en électricité. Ce sont quand même des progrès ?

Sur le plan des infrastructures, il y a des stades dernière génération, un train rapide, des bus rapides, le développement fulgurant de routes et de ponts. Je dis même souvent qu’il y a des autoroutes à péage à l’infini. Il a eu le courage de terminer l’aéroport qu’Abdoulaye Wade avait démarré. Sur ce plan-là, il y a de très bonnes choses. Mais on manque d’infrastructures dans l’éducation ! Dix années pour sortir une seule université de terre et avec des problèmes. En termes d’infrastructures dans le secteur de la santé, ça a été aussi extrêmement maigre. On pouvait réorienter certains investissements. Et il se pose un problème d’opportunité parce que des autoroutes à péage qui ne peuvent pas avoir plus de 1.000 voitures par jour, c’est un problème. Il y a ceux qui croient que c’est ce Sénégal-là qui est émergent, mais je crois que c’est très loin du vécu quotidien extrêmement difficile des Sénégalais.

Sur la politique sociale, vous ne reconnaissez pas des efforts, pour permettre par exemple davantage d’égalité entre les villes et les campagnes ?

Non, l’équité territoriale n’a pas été respectée. Je crois que l’on s’est beaucoup trop concentré sur Dakar. Sur le plan social, il faut saluer la CMU, la couverture maladie universelle, qui soigne les enfants de 0 à 5 ans. Ça, c’est très bien. Il y a une couverture aussi pour les handicapés. Mais si pour 1 million de handicapés, vous ne délivrez que 70.000 carnets, c’est trop peu. Ce que j’ai toujours combattu, c’est la bourse familiale. Parce que si vous donnez 25.000 francs CFA pour un trimestre, c’est très maigre. C’est du gaspillage parce que cette masse d’argent de 40 milliards que l’on distribue en miettes, ce n’est pas du social, c’est de la politique. Il y a souvent un manque de rationalité, un manque même de sérieux. Il y a quelques actions sociales à saluer, mais il y a des actions budgétivores, trop politiques.

Le développement de l’agroalimentaire a été entravé par la crise du Covid puis la guerre en Ukraine. Ça a été l’une des grandes difficultés de la fin du mandat de Macky Sall…

Non, ce n’est pas que Macky Sall. C’est depuis l’indépendance que l’on n’a pas fait l’effort d’investir dans ce secteur pour avoir une capacité de production qui permette une transformation agro. On ne va pas importer quand même le coton du Mali ou l’anacarde du Ghana pour le transformer au Sénégal ! L’absence de ce secteur secondaire de transformation des produits de chez nous est peut-être la cause principale du chômage massif. Tout le monde ne peut pas être dans des banques, dans des services ou être fonctionnaire. Fatalement, dans un pays à 70 % de jeunes, où tous les ans, 200.000 jeunes arrivent sur le marché du travail, si vous n’avez pas cette ouverture industrielle, ça augmente la pauvreté. La grande offensive agricole sous Wade a échoué aussi sur ce plan-là. On a préféré faire des routes, des ponts et des stades.

L’inflation au Sénégal a atteint près de 10 % en 2022. La croissance a été de seulement 4 %, en deçà des premières prévisions. Les prévisions pour les prochains mois et les prochaines années sont meilleures. Êtes-vous globalement optimiste pour l’économie sénégalaise ?

Oui, peut-être à partir de 2024 avec les premières productions de pétrole et de gaz. Mais pour le moment, c’est franchement le statu quo. Il y a un problème dans la conduite de la politique de développement, dans la transformation structurelle de cette économie qui fait que nous sommes encore dans cette petite croissance de 4 %. Notre économie est basée sur l’import avec un Franc CFA extrêmement faible qui nous tue. Nous ne produisons rien pour être exporté et donc on a une balance commerciale extrêmement déficitaire.

Les investisseurs étrangers s’intéressent de plus en plus au Sénégal. Est-ce que vous diriez que l’économie sénégalaise est souveraine ou qu’elle est trop contrôlée par des sociétés étrangères ?

Non, pas souveraine. L’économie sénégalaise est accaparée par des sociétés avec des noms étrangers, même si ce sont des sociétés de droit sénégalais. Quand vous prenez la Sonatel, les banques avec la Société Générale ou la BICIS, ou les assurances, c’est un capital étranger. Ce n’est pas une économie qui est entre les mains de Sénégalais, parce qu’ils n’ont pas les moyens ! On n’a pas de Dangote chez nous. Il n’y a même pas un chef d’entreprise sénégalais qui a un dixième ou un cinquième de Dangote. Nous sommes un pays ouvert où les gens viennent faire leur business. Bravo, ça donne peut-être des impacts sociaux et fiscaux. Mais cette économie nous a complètement échappé.

Le Fonds monétaire international a annoncé un accord avec le Sénégal pour un programme d’aide de 1,8 milliard de dollars sur 36 mois. C’est a priori un ballon d’oxygène pour le Sénégal, même s’il y a des conditions en termes de gestion de la dette et de transition énergétique. Est-ce que ça ne valide pas tout de même les efforts du gouvernement de Macky Sall ?

Je ne crois pas. Si le FMI valide ou félicite, vous êtes mort. Rappelez-vous, il y a quelques mois, il a été demandé à l’État du Sénégal d’abandonner toutes les subventions, de modifier les prix. Qu’est ce qu’on a fait ? On a augmenté notre carburant de 100 francs le litre et on a augmenté l’électricité des ménages de 16 %. Avec le COVID et la guerre en Ukraine, l’inflation s’est déjà installée. Si en plus, on augmente encore les prix, c’est une catastrophe sociale ! Les Sénégalais sont pauvres et cette pauvreté va crescendo. Le FMI ne gère que son argent, même si le peuple trinque. Le FMI nous endette et nous oblige à tout vendre, à tout céder, à augmenter les prix, à créer finalement une révolution économique et sociale. Tout le monde connaît la recette du FMI. Si ce n’est pas un ajustement économique, ce sera un ajustement monétaire. Donc je ne suis pas d’accord avec ce modèle de financement qui nous tue. Avec cette facilité d’accès à de l’argent mal utilisé, on finit dans le trou. C’est ce que je crains parce que le Sénégal est endetté jusqu’au cou.

 

 

 

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