Les relations entre Pastef et son fidèle allié le PUR sont au plus bas. En cause, la volonté d’élus locaux de Pastef de bloquer les maires issus du PUR. Dans cet entretien accordé à WalfQuotidien, Mamadou Djité, membre du PUR et maire de la commune de Thiès ouest affirme que les responsables de Pastef croient que ce sont seulement eux qui sont légitimes pour gouverner au niveau local et national. Et cela, le PUR ne saurait l’accepter.
WalfQuotidien: Vous maire de Thiès-ouest, une commune avec la problématique du foncier?
Mamadou DJITE: J’ai trouvé un budget de 440 millions de francs Cfa et une gestion foncière qu’il fallait scruter. Le problème crucial à Thiès, c’est l’affectation ou la désaffectation de parcelles. Donc, il fallait auditer cette gestion foncière. Il y avait des conventions qui étaient caduques. La commune a été créée en 2008. Après sa création, il y a eu un acte de dévolution de patrimoine. L’ancien patrimoine de la commune de Thiès a été réparti entre les trois communes créées en 2008. Dans ce patrimoine, il y a la gare routière de Thiès qui appartient à Thiès Ouest. A l’intérieur, il y a une station d‘essence qui avait signé une convention avec l’ancienne commune qui datait de 1982. A l’époque, la station payait trois millions par an. Depuis mon arrivée, la station paie désormais chaque année 25 millions de francs Cfa.
Quelles sont vos responsabilités dans la gestion du foncier dans votre commune ?
Le foncier est complexe. On n’y touche pas par tâtonnement ou par désir de vouloir changer les choses le plus rapidement possible. Méthodiquement et scientifiquement, il faut qu’on audite le foncier. Ainsi, on a lancé un appel d’offre pour l’audit du foncier. C’est une de nos promesses de campagne. Ce rapport va nous permettre d’entrer en action pour régulariser les quartiers de Thiès nord, Route de Dakar 1 et le premier site de Mbour 4 qui posent des problèmes de régularisation. On y trouve des gens qui ont bâti sans titre de propriété, sans normes d’urbanisme. Le rapport indique également des cas de désaffectation des parcelles qui ont été récupérées et réaffectées à d’autres. Heureusement, l’actuel receveur des Domaines avait anticipé sur ce problème, en recevant des contentieux venant de ces affectations pour essayer de leur trouver solutions au niveau de Mbour 4.
Quelles sont les difficultés d’ordre foncier que vous rencontrez ?
Dans les affectations et désaffectations, il ne se pose pas de problème de légalité. Quand on vous affecte une parcelle, vous devez l’exploiter pour une période de deux ans. Si vous ne le faites pas, les services ont le pouvoir de la récupérer. Sur le plan de la légalité, il n’y a pas de problème parce que ce sont des parcelles qui sont restées pendant dix ans voire vingt ans pour certaines sans être exploitées. Durant la réaffectation, il s’est posé des problèmes d’éthique. Des personnalités politiques se sont vu attribuer des parcelles, qu’elles ont revendues. Si on les avait réaffectées à des Thièssois démunis, qui étaient dans le besoin, cela ne poserait pas de problème. C’est l’œuvre des maires qui se sont succédé dans les différentes mairies.
Avez-vous entrepris des actions pour la récupération de ces parcelles attribuées à des politiciens?
Nous n’avons pas ce pouvoir. Ce qu’on pouvait faire, c’est d’abord révéler la chose et trouver des solutions. Je l’ai dit tout à l’heure, le receveur des Domaines avait anticipé sur ce problème. Il est en train de trouver des solutions. Cette méthode me semble la meilleure.
Il y a des tiraillements entre le PUR et Pastef de votre commune. Pouvez-vous revenir sur la genèse de vos relations heurtées?
Ce problème remonte au moment de la désignation des candidats aux élections locales de 2022. Quand j’ai été choisi comme candidat, les frustrations avaient fusées de partout, particulièrement le candidat du Pastef. Dans un premier temps, ils n’ont pas voulu battre campagne avec moi. Quand nous avions gagné, je leur ai proposé des postes comme celui de l’officier d’Etat civil principal pour essayer au moins de les impliquer afin de maintenir la dynamique de Yewwi Askan Wi. Malgré tout, après deux ans, je me suis rendu compte qu’ils font tout pour m’empêcher de travailler.
Pourquoi?
Lorsque vous faites tout pour empêcher au maire d’avoir un budget, qui est son principal moyen d’action, on ne peut l’interpréter qu’une volonté de faire barrage au maire. Ils ont comploté avec nos anciens adversaires de Rewmi et Benno et ont créé un bloc pour que je ne puisse pas disposer de budget. Ce qui a fait que mon premier budget est passé grâce à deux voix, alors qu’on est 76 conseillers. Et parmi ces deux voix, il y a un membre de Pastef. Ce qui veut dire que si ce conseiller n’avait pas pris ses responsabilités, on allait avoir une égalité de voix. Et ceux qui ont fait ça, ce sont les membres de Pastef qui sont majoritaires dans le conseil.
Avec la volonté de Pastef de bloquer vos actions, ne craignez-vous pas une délégation spéciale ?
C’est leur souhait. Ils y travaillent d’arrache-pied, matin, midi et soir pour bloquer le conseil municipal. Ils le disent ouvertement. Ils veulent une délégation spéciale. Je ne joue pas les Cassandre, mais je pense que l’hyper-légitimité dont se prévaut le Pastef, aussi bien au niveau local qu’au niveau national, risque d’ouvrir la voie de Pandore avec le Pur.
C’est-à-dire ?
Au niveau local, si le maire est du Pur, c’est mon cas, tous les conseillers de Pastef lui mènent une guerre sans merci. Si le maire est de Pastef et qu’il démissionne parce qu’il est nommé ministre, si le successeur potentiel est du Pur, on fait tout pour l’isoler de la gestion locale. C’est le cas à la Patte d’oie. Cela n’est ni élégant, ni généreux politiquement. Au niveau national, tout le monde sait que, et mêmes-eux ils le disent, le PUR est l’allié le plus crédible de Pastef dans Yewwi Askan Wi.
On a été de tous les combats avec le leader de Pastef. Notre président et responsable moral du parti, Serigne Moustapha Sy, a dit, à plusieurs reprises, au président Ousmane Sonko: «Je l’admire beaucoup». Et à chaque fois, il lui manifeste son soutien. Moi-même, je suis le secrétaire général du Réseau des élus locaux (REEL), (une association d’élus locaux de l’opposition: Ndlr) et Ousmane Sonko en est le président. Durant son arrestation, nous nous sommes battus pour sa libération. C’est pourquoi nous ne pouvons pas comprendre que le PUR, qui a des ressources humaines de qualité reconnues par Sonko lui-même, ne se retrouve pas dans le gouvernement.
Mais c’est le président Diomaye qui nomme aux postes et non Sonko.
Je suis d’accord, mais le leader charismatique c’est Sonko. Nous reconnaissons et donnons au président de la République Bassirou Diomaye Faye toute la déférence requise à son statut parce que l’élection de Diomaye est un aboutissement. L’histoire a commencé en 2022 au niveau local où Yewwi a gagné pratiquement toutes les collectivités territoriales les plus essentielles. Aujourd’hui, le groupe parlementaire de Yewwi est essentiellement composé du PUR et de Pastef.
C’est ce cheminement qui a abouti à l’élection de Diomaye. Il n’est pas venu ex nihilo. Il y a un processus derrière et nous devons le continuer. On a gagné toutes les élections. Il faut qu’on gouverne ensemble. Les deux partis partagent un certain nombre d’idéaux. Ce sont des jeunes engagés et motivés. Nous partageons l’idéal du panafricanisme et du patriotisme. En plus, jusqu’ici, il n y a jamais eu d’actes de casus belli entre les deux partis. Mais ce qui pourrait créer demain des difficultés dans nos relations c’est cette hyper légitimité. C’est-à-dire le Pastef et ses responsables croient que sont seulement eux qui sont légitimes pour gouverner au niveau local et national. Et cela, le PUR ne saurait l’accepter.
N’oublions pas ce que nous avons partagé ensemble, dans les périodes les plus difficiles. Ce qui nous lie est plus fort que ce qui nous oppose. C’est pourquoi je lance un appel solennel à Sonko pour qu’il prenne les mesures idoines pour corriger cette situation qui ne doit pas perdurer. Les guéguerres au niveau local entre Pastef et Pur risquent de fragiliser nos relations. Les conseillers de Pastef nous mènent une guerre, pensant qu’ils sont plus légitimes. Au niveau national, la même chose. On est écarté de la gestion alors que le Pastef compte sur nous à l’Assemblée nationale pour voter des lois parce qu’ils n’ont pas la majorité.
Et si cela perdure ?
Elle peut créer des difficultés dans nos relations futures entre les deux partis. Et je ne le souhaite pas. Notre président voue une admiration et un respect profond au leader de Pastef et il l’a toujours témoigné. Nous militants aussi faisant de notre mieux malgré nos différends que j’ai évoqués pour que cette alliance soit maintenue. Maintenant, à charge pour les responsables nationaux de Pastef de prendre les mesures qu’il faut pour que cette situation soit réglée le plus rapidement possible.
N’est-ce pas à cause du fait que Pastef a gagné la présidentielle sans vous?
Ce serait une erreur de le penser. Nous avons une Adn, le PUR n’a pas peur d’être dans l’opposition. Il a été créé dans la douleur, durant les années de braises, les années 90, où s’opposer n’était pas une mince affaire. C’est durant ces années qu’il s’est opposé au régime socialiste dont nous connaissons les méthodes. Nous avons écrit notre histoire dans l’opposition. Nous savons nous opposer.
Pensez-vous que ce respect est réciproque ?
C’est pourquoi j’attire l’attention de Sonko parce que c’est eux qui sont au pouvoir et doivent prendre leurs responsabilités pour que cette distanciation qui est en train de se faire cesse. Je veux qu’on soit ensemble parce que les Sénégalais pensent que nous avons la même philosophie politique, la même volonté de changement dans la gestion des affaires publiques. Maintenant, il faut que cela se traduise dans la réalité. J’espère qu’ils sauront décrypter mon message. Cette situation, on doit la régler une bonne fois.
On parle de plus en plus d’élections législatives anticipées. Etes-vous toujours dans la dynamique de Yewwi avec cette situation ou êtes-vous tentés d’aller sans Pastef ?
On n’en est pas encore là. Mon souhait est de poursuivre le cheminement parce que nous avons parcouru ensemble un chemin très difficile. Et cela, on doit le capitaliser en essayant de garder cette dynamique. Et c’est Pastef qui doit prendre les mesures idoines.
Vos perspectives en tant que maire ?
On a fait déjà deux ans et demi et le bilan est élogieux. Mais il reste deux projets qui me tiennent à cœur. Celui du grand boulevard qui doit servir de lieu d’attraction et qui va alléger la place de France qui est l’unique boulevard capable d’accueillir des manifestations de grande envergure. Le second projet est un parking gros porteur de cinq hectares. On attend le titre d’attribution pour démarrer les travaux. On a déjà les fonds. Thiès est confronté au stationnement anarchique des gros porteurs. C’est sera donc un projet pour toute la ville. Avec ce projet, les gros porteurs ne pourront plus accéder au centre-ville. J’estime que si je les réalise, j’aurai réussi mon mandat.
Avez-vous le soutien de l’Etat ?
Pas encore. On a subi beaucoup de blocages durant la traversée du désert. On a été privé des fonds dont bénéficiait l’AMS. Mais ce n’est pas encore trop tard parce que le régime n’a fait que deux mois. Mais on ne sent pas encore le retour sur investissement de tous les sacrifices fait. La première chose que le régime doit faire, c’est la reconnaissance juridique du REEL. La deuxième chose, l’accompagnement de l’Etat avec les fonds destinés aux collectivités. Si le régime ne le fait pas, il aura trahi.
WalfQuotidien