SENEGAL-ECONOMIE-FINANCES PUBLIQUES : DEBAT ENTRE PASTEF ET L’APR

à la une Contribution

PAPA MALICK NDOUR, ANCIEN MINISTRE

LFR 2024 : Les 800 milliards de dette et l’autorisation du parlement.

“Le système, ce n’est pas simplement des hommes, ce sont aussi des pratiques administratives aux antipodes de la transparence”. Ousmane Sonko.

Le 24 décembre, une semaine avant la fin de l’année budgétaire, lors du vote de la LFR, l’Honorable député Aissata Tall Sall avait fait part de sa préoccupation légitime quant au timing choisi pour voter la LFR. Elle avait même filé la métaphore en parlant de Loi de finances de régularisation. Elle était bien inspirée et ses questions avaient un sens, puisque le délai entre le 24 et le 31 décembre était assez court pour mettre en pratique toutes les innovations apportées par la nouvelle loi, notamment les nouvelles autorisations en terme de depense et d’emprunt. Si le ministre des Finances avait expliqué qu’il avait fait prendre au Président de la République des décrets d’avance, conformement à la LOLF, pour autoriser des dépenses hors budget, il n’a neanmoins pas pu apporter toutes la lumiere sur les interpellations de Madame la President du groupe parlementaire de Takku Walu, nottament sur la question relative à la gestion des emprunts “fraichement” autorisés.

Pour rappel, le vote de la Loi de Finances Rectificative (LFR) a porté le plafond d’endettement à 4573,9 milliards, soit une augmentation de près de 2500 milliards par rapport à la LFI 2024, qui était la seule en vigueur jusqu’au 24 décembre, soit une semaine avant la fin de l’exercice budgétaire 2024. Je précise que près de 800 milliards proviennent des flux nets de l’emprunt et ont servi à financer le déficit supplémentaire. En terme clair, l’autorisation du parlement à faire varier l’encours de la dette n’a été donné qu’à une semaine de la fin de la gestion.

En conséquence, l’État n’a eu qu’une petite semaine pour mobiliser toute cette dette supplémentaire autorisée par la LFR. D’autant plus que l’article 27 de la LOLF stipule que “les emprunts à moyen et à long terme sont autorisés par une loi de finances et que la variation nette de l’encours des emprunts à moyen et long terme qui peuvent être émis est plafonnée annuellement par une loi de finances”, il était donc théoriquement impossible de s’endetter avant le vote de la LFR, au moins pour 800 milliards. De même, le 31 décembre étant la fin de l’année budgétaire, le délai de mobilisation de cette ressource a été donc d’une semaine.

Dès lors, mes questions sont les suivantes :

  1. Comment l’État a-t-il réussi à négocier, obtenir et mobiliser toute cette manne financière supplémentaire en l’espace d’une seule semaine, étant donné les délais de traitement et d’approbation nécessaires pour mobiliser des fonds aussi importants ?
  2. Quelles ont été les conditions d’emprunt ? L’État a-t-il dû accepter des taux d’intérêt plus élevés ou des conditions moins favorables pour obtenir cet argent rapidement ?
  3. L’État a-t-il eu recours à des créanciers ou institutions spécifiques capables de répondre à une telle demande dans un délai aussi court ? Quelles conséquences potentielles cette mobilisation rapide de fonds peut-elle entraîner sur la stabilité financière à court terme ?
  4. Comment les acteurs du marché financier ont-ils réagi à cette demande soudaine d’au moins 800 milliards en si peu de temps ? Quelles mesures ont été prises pour assurer la transparence de cette opération, surtout dans un délai aussi court ?

Si ces questions ne trouvent pas de réponse pertinente, on pourrait envisager que ces opérations de financement aient été anticipées, en réalité, avant même le vote de la LFR. Et cela permet de poser d’autres questions que je juge pertinentes :

  1. Comment cette anticipation pourrait-elle etre réalisée ? En contrevenant ou en se conformant aux procédures légales et réglementaires en vigueur, notamment l’article 27 de la LOLF, qui écarte toute possibilité de s’endetter en dehors du cadre légal, c’est-à-dire la Loi de finances ? Si oui ne peut on pas considerer la dette qui en decoule comme un emprunt caché ou non declaré qu’on peut classer au meme titre que celle qu’aurait effectué l’ancien regime que les tenants actuels du pouvoir taxent pourtant de faussaire?
  2. Si ces opérations de prêt ont été anticipées avant le vote de la LFR, savez-vous qu’elles ne respectent pas les exigences de la légalité budgétaire et portent atteinte aux principes de régularité et de transparence financière ?
  3. Si ces opérations ont été anticipées avant même le vote de la LFR, peut-on parler d’une précipitation législative ? Quelle a été l’ampleur des risques légaux encourus par l’État en agissant avant l’approbation de la loi par le Parlement ? Puisque le Parlement du Jub Jubal Jubanti nous informe qu’il se pourrait qu’il ne soit pas toujours en phase avec le pouvoir Exécutif. Les députés de Pastef nous disent que leur pouvoir législatif ne sera jamais aux ordres de l’Exécutif.

Ousmane Sonko, avez-vous réellement donné l’ordre à vos fonctionnaires d’anticiper une partie de la dette en vous appuyant sur une pratique non conforme à la loi ? Le cas échéant, je soulève ces préoccupations afin que vous puissiez vous en servir pour conformer les pratiques de l’administration à votre désir de mettre fin au “système” et de conformer les pratiques administratives au Jub Jubal Jubanti.

De même, le peuple serait ainsi informé que le nouveau régime s’endette sans que ses mandants ne leur en donnent l’autorisation. Qui parlait encore d’emprunts non déclarés ?

J’ai récemment posé une panoplie de questions sur le budget 2025 en réponse à Ousmane Sonko, qui appelait à relever le niveau du débat. Mes interpellations sont hélas restées sans réponse. J’ai estimé de bonne foi que le débat était trop économique. Alors j’ai préféré cette fois-ci y ajouter une petite dose de droit des finances publiques afin de permettre aux juristes, économistes et autres tenants du Projet, parmi lesquels “d’éminents spécialistes” du droit chypriote de nous gratifier de leurs “avis savants”.

Débat d’idée vous avez dit…….pas d’insulte.

 

LUTHER OUSMANE SENE

Mon cher Papa Malick Ndour,

Votre interpellation sur la gestion de la dette publique et le vote de la LFR 2024 est présentée comme un appel à la transparence et au débat d’idées. Toutefois, une analyse plus approfondie de votre argumentaire révèle des approximations, des biais, et une volonté implicite de jeter le discrédit sur l’actuelle gouvernance sans proposer de véritables solutions. Permettez-moi de rétablir quelques faits et de répondre à vos interrogations de manière claire et rigoureuse.

  1. Sur la mobilisation des 800 milliards : une compréhension partielle des mécanismes financiers. Vous semblez considérer qu’il est “impossible” de mobiliser 800 milliards en une semaine sans une anticipation préalable. Or, votre argument repose sur une méconnaissance des dynamiques des finances publiques et des relations de l’État avec ses partenaires financiers.

Les négociations préalables sont une pratique normale et légale :

Les États, y compris le Sénégal, négocient régulièrement avec leurs créanciers pour s’assurer d’un accès rapide aux financements en cas de besoin. Ces négociations, lorsqu’elles sont conditionnées à l’approbation parlementaire, ne violent en aucun cas l’article 27 de la LOLF. Ce dernier stipule que l’autorisation de s’endetter doit passer par une loi de finances, ce qui a été fait avec le vote de la LFR.

La rapidité ne signifie pas opacité :

Les marchés financiers et les institutions internationales (comme la BAD ou le FMI) disposent de mécanismes permettant une mobilisation rapide des fonds, surtout lorsqu’il s’agit de refinancer des déficits existants. Affirmer que la mobilisation des 800 milliards en une semaine serait nécessairement illégale ou opaque relève donc d’une simplification abusive.

  1. Sur les conditions des emprunts : des insinuations infondées

Vous insinuez que ces emprunts auraient pu être contractés dans des conditions défavorables, sans fournir aucune preuve pour étayer cette affirmation. Cette posture relève davantage d’une tentative de discrédit que d’une analyse rigoureuse.

Des créanciers diversifiés et compétitifs :

Le Sénégal entretient des relations avec une pluralité de partenaires financiers (banques commerciales, institutions régionales, marchés obligataires). Cette diversification permet de négocier des conditions compétitives, même dans des délais courts. Si vous avez des preuves que ces emprunts ont été réalisés à des taux d’intérêt excessifs, il serait de votre responsabilité de les rendre publiques.

Les gains de confiance de l’État sur les marchés :

Contrairement à ce que vous insinuez, l’État sénégalais bénéficie d’une crédibilité renforcée sur les marchés internationaux grâce aux réformes entreprises ces dernières années. Les emprunts récemment contractés s’inscrivent dans cette dynamique et visent à soutenir des investissements stratégiques pour le pays.

  1. Sur la transparence : des leçons inutiles venant d’un ancien ministre

Vous accusez le gouvernement d’un manque de transparence et de précipitation dans l’adoption de la LFR. Ces critiques, venant d’un ancien ministre, soulèvent plusieurs interrogations :

Votre bilan en matière de transparence :

Durant votre passage au gouvernement, avez-vous œuvré à renforcer les mécanismes de transparence budgétaire ? Le contexte actuel montre qu’une grande partie des pratiques que vous critiquez découlent de systèmes que vous avez contribué à bâtir ou à laisser perdurer.

Des accusations sans fondement :

Vous parlez d’emprunts “anticipés” ou “cachés”, mais vous ne fournissez aucune preuve concrète pour appuyer ces allégations. La publication régulière des données budgétaires et des emprunts par le ministère des Finances contredit vos affirmations.

 

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