Malick DIAGNE, Chef du Département de Philosophie, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, SENEGAL
Oui ! Que faire ? S’interroger ! Ce n’est pas suffisant car, l’interrogation permet de trouver des réponses, les raisons qui sont à l’origine du phénomène en question. Et aujourd’hui, nous connaissons, tous, les causes, les raisons et au-delà de celles-ci, les responsables, les coupables : nous tous.
S’indigner ! Ce n’est pas également suffisant car, le principe de l’indignation n’est pas assez puissant pour porter la réponse devant l’ampleur d’un tel fait de société et devant l’autisme de la communauté mondiale aux sempiternels malheurs de notre continent.
Réagir ! Ce n’est pas non plus suffisant car, la réaction est de l’ordre de l’instantané et vient souvent trop tôt ou tard, mais jamais juste, et donne souvent lieu à des actes disproportionnés ou inappropriés.
S’émouvoir ! Certainement, mais toujours insuffisant parce que l’émotion, en tant que sentiment noble n’est qu’une étape vers la rencontre de la plénitude humaine, mais en deçà de l’efficience nécessaire pour bousculer l’ordre de choses, autrement dit insuffisant pour changer les humains et l’ordre des choses.
Agir ! Oui, c’est ce qu’il faut car, l’action est cette positivité qui s’inscrit dans une rupture avec le mal construit de façon erratique dans un contexte social déterminé. C’est l’action qui permet à l’humain, qui est souvent en hibernation chez chacun d’entre nous, de s’effectuer à travers l’éthique et la pratique par le comportement que nous adoptons et par les actes que nous posons au quotidien. Oui ! Il s’agit bien d’une situation erratique avec cet anachronisme que l’on peut considérer, sans exagérer, comme le plus grand de ce siècle.
C’est vrai, il y a eu le 11 septembre aux USA, il y a eu les tueries d’innocents en Algérie, en Espagne, en France, en Angleterre, en Côte d’Ivoire, au Mali, au Niger, au Kenya, au Nigéria, au Burkina Faso, et la liste est loin d’être exhaustive. Toujours avec leurs lots d’émotion et d’indignation. Mais avec cette Affre affaire d’enchères d’humains, c’est notre humanité, tout entière, qui est renvoyée à la nuit de la primitivité, à la sombre face de son histoire, à l’obscure part de l’animalité, à l’en-deçà de la bestialité. Même l’animal le plus ignoble ne tue pas gratuitement, encore moins ne marchande son espèce, ou pire encore n’enchérit jamais son identique, un individu de son espèce.
Bref, ce monde cruel et perfide, si bien décrit par Mongo Béti, et dont on pensait être débarrassé pour de bon, ressurgisse au jour ignoblement après avoir rasé les murs un peu partout sur notre terre à travers des actes posés ici et là. On peut citer, comme actes précurseurs de cette cruauté d’une autre époque, ce qui se déroule honteusement depuis des décennies en Mauritanie où l’esclavage a encore droit de cité sous le silence coupable de l’Union Africaine et de la CEDEAO.
On peut aussi citer ce qui s’est déroulé il y a quelques années en Afrique du Sud avec de jeunes africains brulés au pneu, ou récemment en Centrafrique avec la chasse aux musulmans ou aux chrétiens : c’est selon, ce qui se passe quotidiennement dans nos frontières à l’intérieur du continent. Aujourd’hui, au XXIème siècle, où l’on parle d’intelligence artificielle, où l’on pense aller habiter la lune, donc de rêve d’horizons merveilleux et en chanteurs, où l’on mobilise des milliers de personnes pour venir au secours d’un chat en détresse au bord d’une autoroute, où l’on parle de statut juridique pour les animaux et les robots.
Oui, aujourd’hui, il y a encore des esprits, obtus et fermés, qui se mettent à cette pratique d’au plus offrant, que l’on ne peut même plus permettre pour les animaux car, l’animal au nom de l’écologie agissante a fini d’acquérir sa dignité.
Oui ! Comble de l’ignominie, on peut citer, aujourd’hui, en 2017, s’il vous plait, ce qui se déroule en Algérie avec l’épreuve exténuante de la traversée du désert pour les jeunes africains à la recherche d’un monde meilleur, on peut citer les innocents égorgés par les déshumanisés de Boko Haram au Nigéria, ou encore le racisme ambiant et l’indifférence coupable des sociétés d’accueil d’Europe (qui n’a pas visionné la vidéo de la noyade du jeune africain en Italie), d’Amérique (avec la duplicité emblématique du président de la première puissance mondiale devant les mouvements néonazis et suprématistes blancs), en Arabie où de jeunes africaines sont devenues conjointement des bêtes de somme et des esclaves sexuelles à l’envi, en Asie, si lointaine et pourtant si proche parce qu’économiquement impliquée à travers ses grands pays que sont la Chine, l’Inde, où l’on tue facilement un jeune africain parce qu’il a osé avoir des sentiments nobles pour une femme.
Oui ! Nous sommes, devant ces actes, en face de quelque chose d’anachronique, d’indicible, d’erratique du point de vue chronologique, si nous instruisons le temps comme une catégorie sociale qui permet de fixer, dans la durée, l’évolution des sociétés humaines. En aujourd’hui, en 2017 ! Rien ne devait permettre ces ventes aux enchères. Même le diamant, même l’or, qui sont malgré leur valeur marchande, des matières brutes et inertes, sont de moins en moins soumises à cette pratique mercantile obséquieuse. Il y a, désormais, du combat gagné pour la traçabilité de ces matières premières au nom des droits humains et de l’environnement.
Oui ! Même les animaux et les plantes ne sont plus publiquement mis au plus offrant, au risque, pour les coupables, de subir les diatribes des activistes de l’Internationale bien-pensante, très promptes à réagir pour un chat oublié dans le froid par un propriétaire négligeant. Oui, comble de l’incurie, pour les jeunes Africains mis aux enchères, il aura fallu la réaction émotionnellement justifiée et idéologiquement motivée (au nom du panafricanisme) de quelques grands Africains, pour que les autorités politiques de tous bords et les intellectuels qui sont devenus, pour parler comme Daniel Bensaïd, de véritables « ratons laveurs », se mettent dans leurs petits souliers : qui pour demander une enquête, qui pour condamner diplomatiquement, qui pour convoquer un ambassadeur d’un pays qui n’existe que de nom, qui pour s’interroger sur une éventuelle et improbable unité d’action des peuples africains.
Oui ! Et heureusement, il y a eu Claudy Siar (un descendant d’esclave comme il se nomme pour mieux porter sur ses frêles épaules toute la gravité de la situation : chapeau bas Monsieur !), Alpha Blondy, Tiken Jah Fakoly, Yaya Touré (très loin de l’ivoirité : merci). Ils ont agi et bien agi en étant au rendez-vous de l’histoire. Tous les autres ! C’est après coup ; ils tous (nos élites) ont raté le rendez-vous avec l’histoire. Pourtant ces élites, susnommées, sont très promptes à travailler pour le virale médiatique à chaque fois que quelque chose heurte un certain Occident (On se souvient de « Je suis Charlie »), même si c’est un fait sorti des cales de l’histoire hollywoodienne comme c’est le cas maintenant avec les nébuleuses histoires d’harcèlement sexuel.
Que faire ? Avais-je posé au départ. La réponse, la bonne ce n’est certainement pas ces condamnations, indignations, communiqués, plaintes à la CPI et autres complaintes qui tombent maintenant à la pelle et qui ne font que détourner notre regard par rapport aux vrais coupables, aux responsables de ces pratiques barbares : nous tous.
Oui ! Nous ne devons pas seulement pointer du doigt les Libyens même si cela s’est déroulé sur leur territoire, encore moins les Algériens ou les Marocains même si certains de leurs ressortissants sont les promoteurs et convoyeurs de ces enchères macabres. Car, les images et vidéos qui nous ont tous choqué ne sont que le rejeton funeste d’un système dont nous sommes tous, certes à des degrés variables, comptables (une chose est sûre, je ne peux pas être logé à la même enseigne que Nicolas Sarkozy). Les uns par leur cupidité, les autres par leur passivité maladive et leur paresse paralysante, mais tous coupables : au ban des accusés.
Oui ! Il ne s’agit pas, comme semble l’établir l’évolution des évènements, de réagir fermement contre la Libye et d’aller cueillir des coupables désignées, sans présomption d’innocence, que l’on va montrer fièrement (je devrais dire honteusement) comme trophée de guerre à l’opinion publique internationale. Qu’est-ce qu’il y a de positif dans de telles actions ? Rien ! Sinon que de l’émotionnel improductif parce que manipulé et artificieusement orchestré. En effet, il ne s’agit pas de s’inscrire dans une dynamique de confrontation entre les Africains et les autres, entre les Noirs et les Blancs, entre les gens du Sud et les Occidentaux, entre les Arabes et les Nègres, ou pire encore entre les Africains eux-mêmes avec d’un côté les Maghrébins et de l’autre les Sahéliens.
Non ! Il s’agit véritablement de partir de ce moment, que l’on peut considérer comme un degré zéro de l’histoire contemporaine de l’Afrique, pour construire une positivité viable pour le Continent car, comme l’a dit le poète Rilke c’est dans les cendres que naisse la vie. Oui ! L’enjeu n’est pas d’aller taper sur les Libyens ou sur quiconque. L’action doit partir de la reconnaissance de notre responsabilité collective pour ensuite poser les jalons d’une stratégie efficace afin de prendre en charge, une bonne fois pour toute, notre Continent. Ce continent ne doit plus être un réservoir de matières premières pour le reste monde au détriment de ses populations. Il doit être le lieu de vie et d’épanouissement des Africains et non un sempiternel purgatoire pour les damnés de la terre pour parler comme Franz Fanon.
Oui ! L’action, comme l’avait fugacement pressenti Fanon, doit consister à « briser les reins » du système marchand inique qui a accouché de ces pratiques anachroniques et surannées. La stratégie à mener doit se construire autour de la prise en charge des véritables défis de l’évolution actuelle de notre continent qui ne peuvent être ailleurs que chez la jeunesse en tant catégorie la plus importante et la plus déterminée pour sortir de la pauvreté et de l’injustice sociale. Car nous avons là les deux grands maux de l’Afrique : injustice sociale et pauvreté ; la répétition n’est pas de trop.
Oui ! Nous devons agir pour la jeunesse, en lui redonnant espoir, en lui rendant sa dignité perdue, en lui conférant un cadre d’éclosion de son potentiel créatif, en lui attribuant les garanties pour l’expression de ses droits et aspirations légitimes, en lui montrant par une éducation et une formation appropriées la voie à suivre. Et pour cela, nous n’avons besoin pas de réinventer la roue ; il existe aujourd’hui, à travers l’Union Africaine, la CEDEAO, la CEMAC et d’autres structures d’intégration, des cadres et des mécanismes pour gagner le combat de l’Afrique : celui de son appropriation par ses propres fils de l’intérieur comme de l’extérieur.
Oui ! A travers une mutualisation et une synergie des acteurs résidents dans le continent et des diasporas à travers le monde, il est possible de construire un agir africain rationnel et opérant pour le devenir du continent. Aujourd’hui l’urgence, c’est d’aller vers des actions concrètes de lutte contre la pauvreté et l’injustice sociale en Afrique qui poussent les jeunes à braver les océans et les déserts du monde. C’est le combat de la jeunesse, c’est le combat qui vaille pour tout Africain fier de sa mère-patrie.
C’est autour de la redistribution des ressources, de la reconnaissance de l’apport de tous les groupes et de la représentation de tout le monde que la justice parviendra à devenir la vertu cardinale de nos sociétés politiques. C’est seulement sous ses préalables que l’on pourra construire un vivre-ensemble africain et mondial apaisé où l’on ne se mettra plus à taper sur de l’humain, à violer des jeunes et des femmes, à humilier des indigents, à persécuter des minorités, à parquer des populations déplacées et, comble du mal, à enchérir des individus humains.
Oui ! Au nom de la gravité de la situation, j’en appelle certes à votre indignation, à votre émotion, à votre réaction, mais surtout à votre engagement, pour qu’ensemble nous agissions. Depuis bien trop longtemps, nous tous, avons assisté de manière trop passive au désespoir de la jeunesse.
C’est de notre responsabilité que de s’indigner – mais c’est surtout notre devoir que d’agir. Joignez-vous à nous pour réclamer la tenue d’un sommet extraordinaire de l’UNION AFRICAINE sur la jeunesse sous l’égide de la société civile africaine pour que nous nous donnions une décennie pour régler les défis de la jeunesse. Ce sera l’occasion pour nos dirigeants africains de s’engager devant le monde et devant les populations africaines, mais aussi l’occasion pour notre société civile de contribuer à l’essor de notre jeunesse. Notre RICHESSE !