Evasion fiscale à la Barbade, Abdoul Mbaye réclame la communication d’informations

Abdoul Mbaye, candidat à la présidentielle : «Notre démarche, c’est le Sénégalais d’abord»

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WalfQuotidien : Jusqu’aux années 80, le Sénégal comptait beaucoup d’industrie notamment dans le domaine textile et des chaussures, mais elles ont fermé à cause de la concurrence étrangère. N’est-il pas illusoire de parler d’industrialisation si l’on sait que le Sénégal est souk à ciel ouvert ?

Abdoul MBAYE : Lorsqu’une entreprise ferme et qui plus est tout un pan industriel sous la pression de la concurrence étrangère, c’est que ces industries, ces entreprises, ne sont pas ou n’étaient pas suffisamment compétitives. Il est donc important de construire une compétitivité pour obtenir des entreprises solides en mesure de résister à la concurrence étrangère. Le Sénégal doit par exemple résoudre dans les meilleurs délais la question du coût très élevé de son électricité sinon aucune de nos entreprises ne pourra survivre, et l’émergence du Sénégal ne sera qu’une illusion impossible à réaliser.

Il est exact qu’en l’absence d’industrie ou d’industrie majeure dédiée à la production de biens de consommation courante, le Sénégal a fini par devenir un souk à ciel ouvert pour reprendre vos termes. Il nous appartient de trouver les bonnes voies pour construire une industrie sénégalaise de qualité, compétitive et capable de résister à la concurrence étrangère. La démarche que nous avons retenue dans le cadre du programme que nous proposons aux Sénégalais le permet. Mais il faut que nous soyons en mesure de faire comme d’autres pays émergents l’ont fait avant nous. C’est pourquoi nous basons toute notre politique d’industrialisation sur une démarche visant à transformer notre artisanat en semi-manufacture dans une première étape et de le faire évoluer vers l’industrie.

Est-ce qu’une entreprise sénégalaise peut concurrencer une entreprise européenne fortement subventionnée ou une entreprise chinoise qui bénéficie d’un marché intérieur énorme et d’une main d’œuvre bon marché?

Il est à mon avis impossible de construire une entreprise ou un secteur regroupant un ensemble d’entreprises compétitives sans aide de l’État. Cependant ces aides venues de l’État doivent prendre plusieurs formes, et non seulement des formes de subventions. L’aide venue de l’Etat ne prendra pas principalement la forme de mesures incitatives de nature fiscale. Elle aura la forme de la recherche d’un accroissement de la productivité artisanale et d’un privilège en matière de commande publique.

L’accroissement de productivité viendra d’une formation professionnelle dédiée. Elle sera sans remise en cause de l’acquisition de compétences par apprentissage. Le système des apprentis sera maintenu mais sanctionné par la délivrance d’attestations et la définition de niveaux de compétences. Des passages seront organisés entre le système traditionnel de l’apprentissage et la formation professionnelle organisée. L’Etat aidera l’organisation de foires locales et au plan de la participation à des foires internationales ; ces derniers non pas pour seulement exposer des produits finis, mais pour rechercher des équipements et matériels adéquats pour booster les productivités et la compétitivité des produits.

Le Sénégal ne pourra jamais prétendre à l’émergence avec un prix de l’électricité aussi élevé que le nôtre. Dans l’attente d’engager le programme qui sera mis en œuvre pour baisser le prix de l’électricité en commençant par la dépolitisation de son management, les artisans regroupés dans des villages de métiers qui deviendront plus tard de véritables villes dédiées à quelques métiers spécifiques (par exemple Ngagne à la cordonnerie, une ville satellite de Thiès à la menuiserie métallique, etc…) y bénéficieront d’un  tarif d’électricité subventionné. C’est pourquoi j’évoquais tout à l’heure des efforts fiscaux orientées vers des gains en productivité plutôt que pour accroître les revenus d’entreprise étrangères. Nous tenons en toutes matières à être fidèle à notre engagement : « le Sénégalais d’abord ».

Les villages de métiers seront également le bon moyen d’organiser le partage de ressources tant en matière d’équipements que de services nécessaires aux artisans. Après avoir été acquis avec l’aide de l’Etat, les équipements lourds pourront être partagés et loués à l’heure par leurs utilisateurs. Les services de centralisation d’achats, de comptabilité, de design, d’importation et d’exportation, de démarches fiscales, etc … seront également partagés en guichets uniques et donc sources de gains de productivité.

Que peut-on faire face à l’invasion de produits importés ?

La production locale sera mieux protégée contre les importations par des contraintes tarifaires et non tarifaires, à titre provisoire ou durable. De même, les tarifs de douane seront mieux pensés et orientés vers l’accroissement de la valeur ajoutée locale. A titre d’exemple, dès lors que l’on sait exporter des vêtements recherchés à travers l’Afrique, et que l’on pourrait ajouter le marché du Nigéria à celui du Sénégal, il apparaît plus intéressant de taxer moins le tissu importé pour pouvoir vendre moins cher des vêtements finis dans les pays environnants : le produit fini contient de la valeur ajoutée qui crée de la croissance et des emplois. Une démarche identique sera adoptée pour les importations de cuir en faveur de la cordonnerie.

Il appartiendra à l’Etat, en rapport avec les professionnels de chaque secteur, d’identifier les industries en mesure de produire en substitution aux importations (tissus, cuirs, etc…) comme autre démarche visant « Le Sénégalais d’abord ». Nous serons alors en route vers cette économie autocentrée que nous proposons à nos concitoyens.

Pourtant le privé local se plaint toujours du fait que la commande publique soit captée par des étrangers…

Le rôle de la commande publique sera déterminant. Les recettes de l’État sénégalais proviennent des contribuables sénégalais. L’endettement de l’Etat produit des ressources qui seront remboursées par les Sénégalais. Nous retenons par conséquent, toujours au nom du principe « Le Sénégalais d’abord », de privilégier de manière systématique les producteurs locaux comme fournisseurs de l’Etat. Un bureau spécifique sera mis en place avec pour mission de toujours vérifier que le fournisseur étranger ou le produit étranger vendu par un fournisseur local ne sont pas privilégiés par rapport à un produit local. Cela bénéficiera immédiatement aux secteurs de la confection (toutes tenues et uniformes), de la cordonnerie (chaussures des forces de défenses et de sécurité), de la menuiserie métallique (équipements agricoles, lampadaires solaires ou non, etc…), menuiserie bois et mobilier (bureaux), et de bien d’autres secteurs par de nouvelles vocations naissant chez les Sénégalais que je sais inventifs et entreprenants.

Vous misez sur les initiatives locales ou sur les investisseurs étrangers pour industrialiser le pays ?

Au nom d’un principe constant sur lequel repose l’ensemble du programme que nous proposons aux Sénégalais qui est « le Sénégalais d’abord» et notre engagement de poser les premiers jalons d’une économie véritablement autocentrée, nous compterons d’abord et avant tout sur les entreprises locales, et même véritablement locales. Nous organiserons progressivement la croissance de champions nationaux capables de porter l’industrie sénégalaise hors de nos frontières. Le Sénégal ne sera évidemment pas fermé aux investissements directs étrangers (IDE). Mais les mesures incitatives particulières prendront plutôt la forme de facilitations administrative et foncières, et non des incitations fiscales. Ces dernières seront réservées aux producteurs locaux.

Les entreprises locales font le plus souvent de la sous-traitance à cause de leur capital limité, qu’elle est votre stratégie pour que le privé national ne se cantonne plus à ce rôle ?

Le capital limité entraîne surtout des capacités de production limitées. C’est pourquoi dans notre stratégie, il est important d’organiser le regroupement des artisans. Comme je vous l’ai indiqué tout à l’heure, cela se fera dans le cadre de création de villages de métier. Ce regroupement des artisans permettra de faciliter leur soumission à des appels d’offres importants notamment lancés par l’État. Et ce faisant, il appartiendra à ces regroupements de distribuer les commandes obtenues entre leurs membres. Cela suppose évidemment de la sélection sur la base de compétences et une capacité à respecter des normes précises définies par le client afin que les commandes éclatées puissent présenter une nécessaire homogénéité en matière de production.

Est-ce qu’une entreprise locale peut tirer son épingle du jeu dans le domaine de l’exploitation du pétrole et du gaz qui nécessite beaucoup de capitaux et une technologie que nous n’avons pas ?

Là également, notre programme retient une règle simple : l’entreprise locale sera toujours privilégiée, et lorsqu’une entreprise locale ne sera pas en mesure de satisfaire aux conditions d’un appel d’offres, l’État s’organisera pour que dans le court terme ou le meilleur, des entreprises locales puissent être en mesure d’être substituées aux entreprises étrangères par transfert de compétences et de technologie.

Les exemples de reculs que nous avons vécus avec les ICS sont inadmissibles. Ce fleuron industriel qui n’avait qu’un seul expatrié et produisait les engrais dont le Sénégal et notre sous-région avaient besoin, privilégie aujourd’hui l’embauche de cadres venus d’Inde et même des ouvriers venus de l’étranger; en outre la production d’engrais indispensables à la révolution agricole du Sénégal a été abandonnée ; les engrais sont désormais fabriqués en Inde.

Le privé national parle beaucoup de joint-venture, cela est-il possible compte tenu du poids de nos entreprises ?

Toute joint-venture avec plus fort que soi peut-être une bonne chose en donnant lieu à des transferts de compétences et de technologie au profit des partenaires sénégalais. Cependant, il est important de l’organiser pour ne pas être dans le leurre et la relation léonine. Et Pour ce faire, les conditions doivent être bien définies, et l’État doit pouvoir jouer un rôle important dans la défense et la protection des intérêts de la partie sénégalaise. Lorsque je dis qu’il ne faut pas que cela soit un leurre, c’est parce que nous savons tous que dans le domaine de la pêche par exemple, des armements sénégalais sont connus factices, pour simplement permettre d’enrichir un associé sénégalaise en contournant un obstacle règlementaire  aux dépens de l’économie sénégalaise dans son ensemble et détruisant toute l’activité de pêche artisanale avec ses centaines de milliers d’employés. De telles joint venture deviennent des entreprises criminelles.

Les taux d’intérêt élevés des banques ne sont-ils pas un frein pour les investisseurs locaux?

Il est exact qu’ils sont souvent élevés. Ils se justifient en partie par le niveau de risque pris par les prêteurs lorsqu’ils s’adressent à de petits artisans individuels. La première réponse à donner doit donc consister à passer du risque individuel à un risque collectif sous la forme de cautionnement collectif donné par des regroupements d’artisans lorsque leurs membres doivent s’endetter. Cela aura un premier effet sur les taux. Le soutien de l’État pourra également venir sous la forme de lignes de crédit spécifiques à taux réduits mises à la disposition du système bancaire sur le modèle de ce qui fut le Fond de Promotion Économique (FPE) mais cette fois entièrement dépolitisé.

Cependant il est nécessaire de trouver des solutions au problème majeur de l’accès au crédit qui à mon avis est encore plus important que celui du coût du crédit. Nous proposons une extension du système de crédit-bail (location-vente) par lequel l’artisan ne deviendra propriétaire de son équipement qu’après paiement de loyers mensuels ou plus rapprochés. Également la création d’un vrai guichet bancaire pour les artisans et PME, ce qu’aurait du être la BNDE lorsque nous avons finalisé son agrément bancaire en 2O12.

Le Sénégal peut-il se passer du Fmi ?

Le Sénégal doit tout faire pour se passer du Fmi. Cela dépend d’une bonne gouvernance de l’État et de ses finances. Le Fmi doit rester un secours ultime. Mais il ne faut jamais rompre définitivement car une porte de secours ne sert certes jamais jusqu’au jour où le sinistre se déclare.

 

 

 

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