L’année 2020 va figurer, mais dans le mauvais sens dans le record Guiness. Elle a été catastrophique au plan économique. La pandémie de la Covid-19 a sévèrement touché les secteurs clés de l’économie entrainant inéluctablement une perturbation du système productif dans son ensemble. Docteur en économie, Abdou Khadre Dieng, Maître de Conférences Titulaire à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion (Faseg) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) et chercheur au Centre de recherches économiques appliquées (Crea), analyse les comportements des principaux indicateurs économiques au Sénégal en 2020. Son analyse porte sur la croissance économique, le chômage, la pauvreté, la dette publique, l’indice de développement humain et l’environnement des affaires.
Tout était bien parti. Le Sénégal était sur une pente ascendante, avec un taux de croissance qui toisait depuis cinq années successives les 7 %. Mais comme un couperet, la pandémie a tout brusquement stoppé. «Durant ces dernières années, l’économie sénégalaise était sur une bonne trajectoire. Cette situation est bouleversée en 2020 par la pandémie de la Covid-19. Cette dernière a sévèrement touché les secteurs clés de l’économie entrainant inéluctablement une perturbation du système productif dans son ensemble», explique Docteur Abdou Khadre Dieng, Maître de Conférences Titulaire à la Faculté des sciences économiques et de gestion (Faseg) de l’Université cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) et chercheur au Centre de recherches économiques appliquées (Crea).
Abdou Khadre Dieng affirme que l’économie sénégalaise est véritablement au «ralenti». D’après lui, cette situation est confortée, en octobre 2020, par la prévision de croissance du Produit intérieur brut (Pib) de -0,7 % en 2020 par le Fonds monétaire international (Fmi). Autrement dit, explique l’économiste, la richesse intérieure créée se rétracte de 0,7 %. «Cette dégradation de l’indicateur est accentuée par le choc subi par le secteur tertiaire qui demeure le principal contributeur à la richesse (qui assure plus de 50 % du Pib) notamment le tourisme, les transports et le commerce dû à la rupture dans les chaînes d’approvisionnement et au confinement», note-t-il.
Le seul positif vient des télécommunications. «Tout heureusement, le secteur des télécommunications s’est relativement bien comporté», souligne Abdou Khadre Dieng avant d’ajouter: «Il faut préciser à ce niveau, le rôle primordial du secteur informel dans la création de richesse et dont l’activité est significativement et négativement impactée par la Covid-19».
2-CHOMAGE
Une croissance exponentielle
Le Sénégal, classé dans le top 10 des pays les plus touchés par le chômage au monde, occupe la 3e place, dans le rapport 2020 de l’Organisation internationale du travail (Oit). Avec un taux de chômage de 48 %, le Sénégal ne fait mieux que deux pays que sont le Burkina Faso, 77 %, et surtout la Syrie, 50 %, un pays ruiné par une guerre qui dure depuis plus de six ans. Docteur Abdou Khadre Dieng rappelle le débat suscité au sein de la communauté nationale et particulièrement entre acteurs à la vie politique. En effet, le gouvernement, qui se targue d’une croissance économique comprise entre 6 et 7 % depuis six ans, réfute naturellement les chiffres de l’Oit. Il préfère se référer aux données de l’Agence nationale de la statistiques et de la démographie (Ansd) qui évalue ce taux à 16 %.
Mais pour le Maître de Conférences titulaire, quel que soit le taux, des efforts doivent être faits pour sortir ces dignes citoyens sénégalais du chômage dans lequel ils se trouvent. Car d’après lui, la différence de chiffres proviendrait de la conception du chômeur entre les institutions. Il explique que si les détenteurs de travail précaire sont considérés comme des chômeurs «déguisés» alors les taux pourraient certainement se rapprocher. «Cette position est confortée par le taux de chômage urbain de 15,5 % publié par l’Ansd. Dans les zones urbaines, nous pouvons constater qu’un taux de chômage de 15,5 % serait très faible et ne refléterait pas la réalité. Il ne faut pas également perdre de vue que cette situation pourrait être aggravée par la pandémie de la Covid-19 car les données remontent au dernier trimestre de l’année 2019», dit-il.
Mais en tout état de cause, l’économiste, enseignant à la Faseg soutient que des efforts supplémentaires obligatoires de la part de l’Etat et du secteur privé apparaissent à travers l’analyse de l’incidence de la pauvreté individuelle au Sénégal.
D’après lui, l’état de la pauvreté révèle des conditions de vie assez difficiles pour beaucoup de citoyens au Sénégal. En effet, le chercheur au Crea indique que l’incidence de la pauvreté individuelle est de 37,8 % en se basant sur l’élaboration d’un seuil de pauvreté national (Ansd, Ehcvm, 2018/2019). «Ce taux est déjà alarmant et très élevé compte non tenu de la valeur monétaire journalière considérée que je juge faible. Avec environ 915 francs Cfa par jour, il est extrêmement difficile de satisfaire correctement ses besoins primaires au Sénégal», souligne le Maître de Conférences, ajoutant que l’incidence de la pauvreté s’aggraverait si on considérait le seuil international de 3,2 dollars par personne et par jour qui avoisine 1 750 francs Cfa. «Avec la pandémie, nous devons nous attendre à des taux futurs plus élevés eu égard à la baisse des taux de croissance économique et de l’emploi», prédit le chercheur.
3-DETTE PUBLIQUE
Augmentation de 11,5 % de l’encours
La hausse de l’encours de la dette est une autre preuve de la situation économique difficile du pays. L’économiste Abdou Khadre Dieng indique en effet que la dette publique est un autre indicateur économique non moins important. «La situation de la dette publique mérite d’être évoquée car entre 2019 et 2020, l’encours a augmenté de 11,5 %. La dette qui se situe à 64 % du Pib, reste certes, en dessous des normes communautaires mais délicate», alerte l’économiste. Selon lui, le ralentissement de l’activité économique entraine une baisse des recettes fiscales et le paiement du service de la dette qui représentent un énorme gouffre pour l’Etat. A l’en croire, cette situation justifie en grande partie l’initiative prise par les gouvernements africains pour l’annulation de la dette publique. Cependant, selon lui, cette demande pourrait entrainer une détérioration de la qualité de signature de nos Etats et de la note souveraine attribuée par les agences de notation à nos titres publics.
Récemment, Rfi affirmait que les taux d’intérêts payés par les pays africains quand ils ont recours aux marchés financiers sont prohibitifs, là où l’Europe emprunte à un demi, voire à zéro pour cent, l’Afrique emprunte à six ou sept pour cent.
D’autre part, Docteur Abdou Khadre Dieng souligne que l’Indice de développement humain (Idh) publié par le Pnud en 2020 montre que le Sénégal a perdu deux places en passant de la 166e place à la 168e place sur les 189 pays. D’après lui, ce résultat montre que d’autres pays ont fait mieux que nous en matière de politiques éducative et sanitaire voire même économique. «La situation du Sénégal s’est détériorée en passant de 0,516 à 0,512 entre 2019 et 2020. La durée attendue de scolarisation a baissé de 0,4 point dans la même période», note l’économiste qui affirme que l’Etat doit augmenter ses efforts dans la mise en place de nouvelles infrastructures éducatives à la fois dans les zones urbaines et rurales eu égard à l’augmentation de la population scolarisable. L’enseignant indique en outre que la scolarisation universelle doit également être une réalité au Sénégal.
4-PECHE
Dégradation des conditions de vie des pêcheurs artisanaux
Le secteur de la pêche a été l’une des vedettes de l’actualité avec la signature du très controversé accord entre le Sénégal et l’Union européenne qui est en quelque sorte une prorogation du précédent avec des amendements portant notamment sur le tonnage et le montant. En effet, le tonnage autorisé porte sur 10 000 tonnes de thon par an (50 000 tonnes sur les cinq ans) et 1 750 tonnes de merlu par an (8 750 tonnes sur les cinq ans). Quant à la valeur du protocole, elle est estimée à 3 050 750 Euros par an, soit une valeur globale de 15 253 750 Euros (10 milliards de francs Cfa) sur une durée de 5 ans. Un accord critiqué par les acteurs de la pêche traditionnelle et industrielle et même la société civile qui accusent le gouvernement d’avoir bradé les ressources halieutiques.
D’ailleurs, l’économiste Abdou Khadre Dieng affirme que c’est le deuxième fait malheureux, qui l’a marqué cette année car il est lié à la dégradation des conditions de vie des pêcheurs artisanaux qui constitue un des poumons de l’économie sénégalaise. «Ce secteur contribue directement et indirectement à la création de richesses et d’emplois au Sénégal. C’est un sous-secteur important dans la création de richesse du secteur primaire», fait-il remarquer. Aussi, il affirme que, pour assurer une stabilité socio-économique dans la majeure partie des ménages dans les communautés littorales, l’Etat devrait élaborer une politique efficace de protection et de conservation des ressources maritimes.
5-ENVIRONNEMENT DES AFFAIRES ET ERECTION DU MINISTERE DE L’ARTISANAT ET A LA TRANSFORMATION DU SECTEUR INFORMEL
Les embellies de 2020
L’amélioration de l’environnement des affaires et l’érection du Département de l’Artisanat et la transformation du secteur informel constituent deux éclaircies dans cette grisaille de cette année covidée. «Deux faits m’ont particulièrement marqué durant l’année. Le premier fait, heureux, est lié à l’érection d’un département ministériel dédié à l’artisanat et à la transformation du secteur informel. Le secteur informel constitue un maillon important de l’économie sénégalaise et nécessite un soutien de taille de la part des pouvoirs publics», se réjouit Docteur Abdou Khadre Dieng. Il affirme que ce nouveau département pourra mettre en œuvre une politique de formalisation plus efficace en étant plus proche des acteurs informels. D’ailleurs, selon lui, c’est le moment de penser véritablement à des formations professionnelles sur mesure, à la couverture sociale des travailleurs de ce secteur mais également à une politique de soutien à la transformation et à l’exportation.
En outre, l’économiste affirme qu’il faut saluer l’amélioration de l’environnement des affaires, matérialisée par le classement «Doing business» 2020. Le Sénégal est passé de la 141e place en 2019 à la 123e place en 2020. Selon lui, cette situation montre les efforts de l’Etat à l’endroit des investisseurs en matière de soutien et d’accompagnement. Selon lui, il faudrait également souligner, le soutien du Fmi au Sénégal depuis 2019 dans le cadre du programme Instrument de coordination des politiques économiques (Icpe) sur la nécessité de mener à bien les réformes structurelles, en particulier l’efficacité des investissements publics, la rationalisation des niches fiscales, les délais de passation des marchés publics, la restructuration des entreprises publiques (comme La Poste) et la gestion de la dette et de la trésorerie.
Source : Walf Quotidien