Par Abdoul MBAYE
Samedi 21 décembre 2019, Alassane Ouattara, Président en exercice de la Conférence des Chefs d’État de l’UEMOA, a annoncé une réforme majeure du franc CFA en présence du Président Emmanuel Macron. Ce dernier en a confirmé les principes relevant de l’Accord de coopération liant la France et les États membres de l’Union.
Au terme du weekend, lundi 22 décembre, la presse titrera sans aucun doute « Mort du franc CFA et naissance de l’ECO». Il n’en est pourtant rien. Aussi est-il important de certes insister sur l’importance de la réforme survenue, mais aussi de rassurer sur le maintien des fondamentaux qui valent au franc CFA un si haut degré de confiance de la part du public, des opérateurs économiques ressortissants des États membres de l’Union, mais également de ceux de l’étranger.
Les évolutions historiques actées le 21 décembre 2019 après 46 années d’immobilisme débarrassent le franc CFA de tout ce qui pouvait encore apparaître comme vestiges de la période coloniale.
- Une nouvelle dénomination sera donnée à notre monnaie commune et africaine. Le terme « CFA » comme « Communauté Financière Africaine » rappelant encore « Colonies Françaises ‘Afrique » disparaîtra. Par contre les fondamentaux de la monnaie seront conservés comme nous le montrerons ci-après.
- L’obligation de déposer 50% des réserves de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) auprès du Trésor public français était contrepartie du concours apporté par la France pour assurer la libre convertibilité du franc CFA. Cette obligation est supprimée et la BCEAO gérera ses réserves sous la seule contrainte de ses propres principes de gestion.
- Des représentants de la France ne siègeront plus au sein des organes de décision et de gestion de l’UEMOA.
Pour une monnaie entamant une nouvelle vie, et s’apprêtant à céder la place à une autre unité de compte, l’essentiel est pourtant ailleurs. Et il est important de le relever afin d’éviter anticipations et spéculations qui pourraient contribuer à entamer la confiance en elle avec de graves conséquences possibles sur l’économie réelle et les paiements extérieurs de l’UEMOA.
- Tout d’abord, la parité de notre monnaie ne varie pas. Elle demeure à son niveau antérieur. La réforme, pour importante qu’elle soit, n’affecte donc pas le pouvoir d’achat de notre monnaie commune. Il faut d’ailleurs continuer à l’appeler franc CFA dans l’attente de la prise en compte du changement de dénomination par les instruments légaux appropriés.
Les signes monétaires (billets et pièces) CFA continueront donc de circuler et devront être acceptés en paiement sur les territoires de l’Union. Les deux signes monétaires (CFA et ECO) circuleront même concomitamment pendant un laps de temps lorsque viendra le moment de la substitution.
- Enfin, le concours sous forme de ligne de prêt de devises que la France mettait à la disposition de la BCEAO est conservé. Rien de honteux à cela. Il ne s’agit que d’un possible prêt, après ceux rendus disponibles par le Fonds Monétaire International (FMI) ou d’autres négociés ailleurs. Emprunter n’est pas signe de néocolonialisme. Cependant l’information du maintien de cette facilité de dernier recours, dont on a tendance à exagérer l’importance en la qualifiant de « garantie de convertibilité », permet de livrer au marché un message rassurant évitant d’entamer la confiance des détenteurs actuels ou futurs du franc CFA dans l’attente de l’ECO.
Les annonces politiques ont eu lieu. Elles ont privilégié dans l’ordonnancement des changements cités les éléments politiques. Elles ont d’ailleurs permis, par l’ordre de prise de parole, de prendre conscience que tous ces changements dépendaient avant tout de la décision des Chefs d’État africains. Il appartient désormais aux techniciens de la monnaie et de la finance, BCEAO et banques secondaires en particulier, de prendre le relais en matière de communication, et de bien expliquer au public et aux opérateurs économiques que tout ce qui n’est pas « politique » ne change pour l’instant pas.
Cette réforme est majeure, mais elle est également de grande intelligence en ce qu’elle allie changements historiques et maintien de fondamentaux pour conserver la confiance en notre monnaie.
Le temps d’autres réformes viendra. Celle-ci n’était qu’un premier pas devenu urgent et nécessaire. Le futur sera celui d’une monnaie restant africaine mais s’ouvrant à davantage de pays de notre région et gérée dans des conditions optimales qui ne feront pas renoncer aux acquis positifs construits par les pionniers à l’échelle mondiale d’une union monétaire achevée. Car faut-il le rappeler, l’UMOA n’a pas été moins que cela : un modèle donné au Monde par des pays africains.
Ancien Premier ministre
Président de l’Alliance pour la Citoyenneté et le Travail
Dakar le 22 décembre 2019