P a r M m e F a t i m é R a y m o n n e H A B R E
Ce que l’on a appelé la crise au Sahel a commencé avec la chute de Kadhafi en 2011. On nous a expliqué que, surfant sur les revendications politiques des mouvements touareg maliens, des branches de mouvements djihadistes s’y sont greffés et ont lancé une guerre pour les aider à instaurer la République de l’Azawad.
Plusieurs offensives militaires leur ont ainsi permis d’occuper le Nord du Mali et de menacer d’avancer vers la Capitale, Bamako pour y installer, selon la rhétorique des médias européens, une République islamiste de narcotrafiquants ». Rien que cela !
Ce qui est important aujourd’hui, plusieurs années après les interventions militaires, c’est de faire l’état des lieux de cet espace sahélo -saharien. On peut estimer qu’au départ et essentiellement, la crise libyenne est une crise intérieure
à la Libye sans répercussion importante dans cette zone. Les différents belligérants en Libye occupaient chacun une zone déterminée. Les rapports de force ne permettaient pas à un des leaders de l’emporter totalement et de s’imposer aux autres.
On constate des recrutements d’anciens rebelles tchadiens, soudanais, centrafricains par les différents protagonistes pour venir en renfort dans cette guerre interne. On peut dire donc que la situation libyenne ne menaçait pas, à proprement parler, la sécurité du Tchad, ni celle du Niger, encore moins celle du Mali, ou du Burkina.
Pour « sauver le Mali », l’armée française s’est déployée avec ses mirages, ses jaguars et ses hommes pour faire la guerre aux terroristes.
Force a été de constater que ce qui a caractérisé cette guerre au Mali, c’est l’absence totale d’images des zones de combat.
Un véritable black out médiatique qui laisse supposer une grosse manipulation de l’opinion. Ne dit-on pas que dans une guerre, la première victime, c’est la Vérité ?
Le Mali était-il réellement menacé par des djihadistes en mesure de renverser le régime et d’installer une république islamiste ?
Une chose est sûre, les militaires tchadiens présents sur le terrain, ayant une grande expérience de la guerre, n’ont pas vu une véritable force organisée, capable de se déporter du nord lointain à Bamako, sur une distance de plus de 1000 km, de s’approvisionner en carburant (où ?), de s’éloigner de leur base arrière (les grottes et les montagnes), d’occuper Bamako et de tenir cette position.
Les militaires tchadiens ont été obligés d’aller chercher les djihadistes cachés dans les massifs, autrement dit, ceux-ci étaient loin d’être en position offensive vers Bamako. On nous a dit aussi que les armes des djihadistes provenaient des entrepôts libyens. Pour l’essentiel, ce n’était pas
le cas, ce qui suscite à nouveau de multiples interrogations. Les opinions publiques africaines n’ont pas été dupes de l’extraordinaire exagération de la menace terroriste contre le Nord malien.
Et, le premier constat important sur les réels objectifs de cette drôle de guerre est de se rendre à l’évidence que l’espace sahélo-saharien est aujourd’hui entièrement occupé, quadrillé par des bases militaires étrangères et étonnement des groupuscules djihadistes arrivent à circuler dans cette zone désertique donc à découvert pour frapper des cibles précises.
État des lieux d’une militarisation politique et économique forcée sous prétexte de danger terroriste.
Depuis les évènements du Mali, le Niger a vu sur son territoire, s’installer 2 bases militaires américaines, 2 bases militaires françaises et 1 base militaire allemande en cours de construction.
Le Tchad a une base militaire française principale trentenaire, abrite le QG de l’opération Barkhane, deux bases secondaires, l’une à Abéché dans l’est et
l’autre à Faya au nord. Des éléments de l’armée américaine campent au Lac Tchad. Le Cameroun a aussi un point d’appui militaire français au Nord.
Le Burkina dispose d’une base militaire française, d’un point d’intervention
américain. Le Mali a vu s’installer une base militaire française, les forces de la MINUSMA, et maintenant le G5 en cours de constitution, sans compter d’autres éléments militaires européens.
Le Sénégal a une grande base militaire française, et désormais une base et des points d’appui américains en cours d’installation. La Côte d’Ivoire a une base militaire française, des forces militaires des Nations Unies envoyées lors de la crise post-électorale en 2010 mais qui sont toujours là, sept années après la fin de la crise !
Autre constat important : ces forces étrangères qui ont occupé cet espace sahélien sont impressionnantes par leur armement, leur équipement composé de drones, d’avions de combat, de centrales d’écoutes etc..
Si le terrorisme a été le prétexte pour s’installer quasiment par la force, on peut s’interroger si ces forces militaires étrangères, nombreuses et suréquipées font réellement la guerre aux djihadistes ?
Ce qui nous amène à poser une autre question : à l’heure actuelle, on nous parle de créer une nouvelle force, le fameux G5, en appui à l’ensemble des forces listées plus haut, mais où sont les djihadistes, quelles zones occupent-ils ? Quel est leur poids militaire ? Quel armement et combien d’hommes ?
Dans cette guerre contre le terrorisme au Sahel, aucun État-major des pays africains engagés ne dispose d’informations de la part des responsables de ces bases militaires étrangères sur les positions, circulations et forces de l’ennemi.
On a eu à le déplorer au Nigeria. Imaginez que des drones américains et des mirages français survolaient régulièrement le Lac Tchad et les zones d’action de Boko Haram.
Et, 276 jeunes lycéennes ont été enlevées en plein jour, transportées dans 17 autobus, traversant villes et villages, roulant pendant des heures, et cette chose incroyable a été possible malgré la présence des bases militaires françaises et américaines toutes proches !
Et on a laissé faire Boko Haram qui a enlevé ces jeunes filles à leurs familles, les retient toujours captives et mariées de force quelque part dans leur zone de repli entre le Nigeria, le Tchad et le Cameroun.
Cette opération de terreur absolue s’est déroulée sans qu’aucun avion ne bouge pour agir contre les hommes de Boko Haram ou tout simplement bien localiser le lieu de campement des otages et donner cette information. Ah oui ! C’est vrai ! En réaction, ils ont crée un ashtag # BringBackOurGirls.
Le Nord Mali est la zone de refuge des djihadistes et pourtant, elle a été transformée en une zone quasi inaccessible ; par conséquent, personne ne peut aller vérifier ce qui s’y passe réellement.
Des photos étonnantes de gros engins qui procèdent à des fouilles souterraines ont été diffusées. Qu’est-ce qu’on y cherche ou dissimule ? Quelle drôle de guerre !
Dans sa stratégie de guerre, la France a segmenté ses initiatives.
Premier axe: elle s’est imposée comme une force tampon obligatoire entre les mouvements Touareg et le gouvernement malien: Accord de paix, négociations, tout passe par ses choix.
Comment alors s’étonner que des populations qui ont vécu sur le même territoire pendant des siècles, ne puissent plus dialoguer et faire la paix, se réconcilier ?
Deuxième axe de sa politique : c’est le regroupement des forces africaines pour constituer une coalition d’exécutants au sein de laquelle, aucun leader ne peut remettre en cause la vision et les incohérences de cette guerre contre le terrorisme.
Aucun pays de la zone ne peut développer une autre vision, une autre politique pour parvenir à une stabilité ou pour mieux lutter contre le terrorisme.
Le troisième axe d’intervention de la France consiste à mener des négociations avec l’Algérie (le Président Hollande avait déclaré: « la solution de la crise malienne se trouve à Alger ») sur la crise malienne à l’exclusion des autorités maliennes et de la coalition des pays africains dont les militaires sont mobilisés pour sacrifier leur vie dans cette guerre.
Et l’on s’étonne que cette instabilité soit longue et sans fin. Les responsables algériens ont bien compris que des forces militaires occidentales positionnées à ses frontières leur posent des problèmes de sécurité à plusieurs niveaux et partant, ils s’activent dans cette affaire malienne pour le faire comprendre.
La France, en Afrique, a toujours proposé des solutions militaires à des crises politiques, cela lui permet de créer une situation de ni guerre ni paix, ni stabilité, de l’entretenir et d’agir sur les belligérants. Elle l’a fait au Tchad, en RCA, en Côte d’Ivoire, et au Mali.
Au Nord Mali, la France estime qu’elle a gagné la phase militaire qu’importe si le processus politique est totalement enlisé, et qu’après avoir développé une diplomatie internationale autour de la lutte contre l’impunité, élaboré et diffusé des discours clés en main portés par les ONG et utilisés.
Par ailleurs, pour harceler le Président Habré pendant des années, la France a écarté la dimension judiciaire des voies de sortie de crise au Mali malgré les atrocités commises et a suscité la création d’une commission Dialogue et Réconciliation.
Guidée par ses seuls intérêts, la France n’est pas à une contradiction près, car, ce qui est bon ici ne l’est pas forcément là-bas.
Le nouveau Président français, Emmanuel Macron, a mis son indispensable casquette de chef de guerre et a précisé que sa vision de la lutte contre les djihadistes passe par une nouvelle force militaire.
D’où le G5 qui va venir grossir les autres troupes, au nom de la théorie « qu’il revient aux Africains d’assurer leur sécurité » et de participer aussi au financement de cette force.
Le Sahel dont le sous-sol regorge dans ses coins et recoins, de richesses minières importantes, se trouve désormais occupé, fortement militarisé et fait l’objet de toutes sortes de convoitises.
Comment ne pas s’interroger sur l’avenir de cet espace sahélo-saharien au centre des enjeux économiques, énergétiques, diplomatiques, politiques et géopolitiques qui préoccupent les Européens, pendant longtemps partenaires quasi exclusifs du continent africain, mais qui perdent de plus en plus de terrain face à la Chine ?
Une Chine qui vient de franchir un pas significatif dans sa présence sur le continent noir en installant sa première base militaire à Djibouti, en terre africaine pour sécuriser ses intérêts.
Et si la menace terroriste était utilisée comme un épouvantail pour occuper et s’approprier un espace au sous-sol immensément riche à l’effet de freiner le processus menant à la fin des privilèges sur le continent noir ? Cela expliquerait bien de choses dans cette drôle de guerre contre le terrorisme.