Dans le secteur de la microfinance, l'encours des crédits distribués aux sociétaires et clients a progressé de 18% en glissement annuel, en s’établissant à 608 milliards à fin juin 2023.

Contribution au débat sur la souveraineté monétaire!

à la une Contribution

Par Maître Alassane SECK

 

La question monétaire doit être abordée avec prudence mais sans complaisance pour accompagner la volonté politique affichée vers une plus grande souveraineté monétaire africaine. Les politiques économiques des Etats reposent sur deux leviers que sont : la politique budgétaire et la politique monétaire. Toutefois, pour adopter une politique monétaire efficiente, il faudrait avoir plus de souveraineté dans le domaine de la monnaie avec une devise africaine ou nationale forte. Ce qui n’est malheureusement pas le cas avec une monnaie comme le franc CFA vestige de la colonisation française en Afrique Occidentale.

Rappels sur le système monétaire international (SMI)

Le Système Monétaire International (SMI) a connu plusieurs évolutions, avec : – le système de « l’étalon-or » qui a facilité la stabilité des monnaies avant de s’effondrer après la Première Guerre mondiale ; – le système de change fixe avec le dollar comme étalon monétaire (avec l’or) suite à la conférence de Bretton Woods tenue au New Hampshire, USA, le 22 juillet 1944 ; cette conférence a acté la naissance de deux institutions internationales : le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM);

– le Système de change flottant suite aux accords de la Jamaïque (les 7 et 8 janvier 1976) qui entérinent la fin du système de Bretton Woods et le flottement des monnaies. L’or est démonétisé. Chaque pays est alors libre de choisir le système de change de son choix.

Les Unions Economiques et Monétaires

C’est dans ce contexte qu’en Europe, l’Union économique et monétaire (UEM) se construira. En Afrique, les Unions Economiques et monétaires se sont construites progressivement pour chaque région. Pour la région ouest africaine, nous avons assisté à la création de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) ainsi que de la CEDEAO. Créée le 10 janvier 1994 à Dakar au Sénégal, l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) est une institution sous régionale qui regroupe huit États côtiers et sahéliens : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo. Ils ont en partage, entre autres, une monnaie commune, le Franc de la Communauté Financière Africaine (FCFA), dont l’émission est confiée à la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).

« L’UEMOA a pour objectif essentiel, l’édification, en Afrique de l’Ouest, d’un espace économique harmonisé et intégré, au sein duquel est assurée une totale liberté de circulation des personnes, des capitaux, des biens, des services et des facteurs de production, ainsi que la jouissance effective du droit d’exercice et d’établissement pour les professions libérales, de résidence pour les citoyens sur l’ensemble du territoire communautaire ».

La CEDEAO regroupe 15 Etats dont les 8 Etats de l’UEMOA, et 7 autres Etats (Gambie, Ghana, Liberia, Nigeria, Sierra Leone, Cap-Vert et Guinée-Bissau).

La politique budgétaire

Elle consiste à utiliser le budget de l’État pour agir sur la conjoncture. Elle englobe l’ensemble des mesures qui ont des conséquences sur les ressources et les dépenses de l’État et qui visent à atteindre certains objectifs de politique conjoncturelle. La politique budgétaire peut être utilisée dans deux situations opposées. En période de ralentissement de la croissance ou de crise, elle va servir à soutenir l’activité économique. On parle de politique de relance budgétaire. Dans ce cas, elle est souvent articulée autour de la gestion du déficit budgétaire avec le recours à l’endettement (emprunts indivis et obligataire) pour couvrir les dépenses budgétaires. Toutefois, le déficit budgétaire doit être encadré dans des proportions raisonnables souvent fixées par les critères de convergence des organisations d’intégration régionale ou les Bailleurs de fonds multilatéraux. Par exemple, au sein de l’UEMOA le déficit budgétaire ne devrait dépasser 70 % du PIB alors que ce taux avoisine 80 % pour le Sénégal. En période de forte croissance, pendant lesquelles la surchauffe de l’activité économique peut provoquer la hausse des prix (inflation) ou des déficits extérieurs importants (déséquilibre des échanges avec le reste du monde), elle permet de freiner l’activité en réduisant la demande des agents économiques ; on parle de politique de rigueur budgétaire.

La politique monétaire

Elle est un des principaux instruments de la politique économique. Elle est placée sous la responsabilité des banques centrales. Son rôle consiste à veiller à la stabilité monétaire et financière. La politique monétaire porte sur l’utilisation de la « planche à billets » pour augmenter la masse monétaire en circulation en évitant de tomber dans « la trappe à liquidité ou la rétention du surplus de liquidités par les institutionnels (banques et acteurs de la bourse) et les particuliers qui préfèrent ainsi conserver de la monnaie plutôt que de détenir de la dette du fait de la chute du taux d’intérêt en dessous d’un certain niveau, jugé très bas ». Cette méthode monétariste a été qualifiée sous le vocable anglais « Stop and Go policy ». « Le stop and go est une politique économique qui vise, pour une autorité comme un État ou une banque centrale, à alterner des phases de stimulation de l’emploi ou d’inflation (go) et des phases de rigueur lorsque les objectifs sont atteints ou dépassés (stop) ». C’est dans ce contexte que les Autorités sénégalaises ont manifesté leur désir d’aller vers la souveraineté monétaire soit dans le cadre de la CEDEAO soit par la création d’une monnaie nationale.

La Réforme du franc CFA – vers la souveraineté monétaire

Le franc CFA est régi par un accord de coopération monétaire entre la France et l’UEMOA avec une parité fixe par rapport au franc Français puis l’Euro en plus d’une garantie de convertibilité avec l’obligation de centralisation des réserves de change des Etats de l’UEMOA sur le compte d’opérations ouvert auprès du Trésor français. La réforme du franc CFA a fait l’objet de discussions entre les parties prenantes initiées depuis plusieurs années entre la France et les Etats ouest africains. Toutefois, au sein de la CEDEAO des discussions sont engagées en vu de la création d’une monnaie commune dénommée « ECO » selon un calendrier qui intègre comme préalables le respect de plusieurs critères de convergence par les 15 économies de la Zone. Malheureusement, la sortie des Etats de l‘AES (Mali, Burkina, Niger) de l’organisation régionale, complique d’avantage la réalisation de l’intégration économique et monétaire. Pour le franc CFA, le 21 décembre 2019, en marge d’une visite du Président français Emmanuel MACRON en Côte d’Ivoire et contre toute attente, on a appris la signature d’un nouvel accord de coopération monétaire entre la France et l’UEMOA, portant sur les 4 axes suivants :

1- le changement de nom de la devise par l’« ECO »;

2- la suppression de l’obligation de centralisation des réserves de change sur le compte d’opérations au Trésor français ;

3- le retrait de la France des instances de gouvernance de la Zone ;

4- la mise en place concomitante de mécanismes ad hoc de dialogue et de suivi des risques (notamment reporting).

Le régime de change reste toutefois inchangé, avec le maintien de la parité fixe entre l’euro et la devise de l’Union, ainsi que le maintien de la garantie de convertibilité assurée par la France. Dans ce cadre l’accord du 21 décembre 2019 est complété par une convention de garantie, texte d’application de l’accord, signé avec la BCEAO. Toutefois, les Parties ont convenu que le changement du nom de la monnaie, ses modalités comme son calendrier relèvent exclusivement des attributions souveraines de l’UEMOA. Depuis lors, nous n‘avons pas noté de changement impulsé par l’UEMOA. Ainsi, pour une utilisation pleine et optimale de la politique monétaire, les Autorités sénégalaises ont opté pour une réforme du franc CFA soit dans un cadre régional (UEMOA ou CEDEAO) ou le cas échéant, envisager la création d’une monnaie sénégalaise. La feuille de route de la réforme du franc CFA, pourrait ainsi comporter 3 étapes :

Etape 1 : Réformer le franc CFA au sein de l’UEMOA

En accord avec la CEDEAO, cette réforme pourrait se dérouler comme suit : 1- Changer le nom en « Eco » ; 2- Supprimer la garantie de convertibilité du trésor français; 3- Fabrication des nouvelles signes monétaires billets et pièces par appel d’offres international pour le choix d’une firme à moindre coût et à moindre risque ; 4- Taux de change flexible avec indexation à un panier de devises. Il faudrait aussi tendre vers la fusion des 2 traités monétaire et économique en vigueur au sein de l’UEMOA. En plus, il faudrait étudier la possibilité de changer la forme actuelle de la BCEAO qui est une SA avec des parts égales pour chaque État qui pourrait évoluer vers une banque centrale fédérale avec des parts différentes selon le poids économique de chaque État (PIB, Population, etc). 4/6 Etape

2 : Création de l’ECO au sein de la CEDEAO

Cette étape, plus longue et plus difficile, pourrait se dérouler comme suit :

1- la fixation d’un calendrier précis vers la convergence des économies de la zone par l’harmonisation des critères de convergence de la CEDEAO et ceux de l’UEMOA ;

2- la création de l’ECO et de la Banque centrale de la CEDEAO qui devrait être, selon certains économistes, une banque fédérale avec des parts différentes selon le poids économique de chaque État (PIB, Population, etc).

3- la fabrication des nouvelles signes monétaires billets et pièces par appel d’offres international pour le choix d’une firme à moindre coût et à moindre risque ; 4- un taux de change flexible avec indexation à un panier de devises. Etape 3 : Création d’une monnaie nationale sénégalaise

Cette option est assortie de mesures préalables déclinées dans le « Projet » du Président Bassirou DIOMAYE FAYE pour un « Sénégal souverain et prospère dans une Afrique en progrès ». Ainsi, les conditions préalables suivantes ont été fixées :

« – Mettre en place une politique macroéconomique solide ; – Séparer les banques d’affaires des banques de dépôt ;

– Avoir les moyens techniques de création monétaire ; – Démonétiser temporairement l’or ;

– Reprofiler la dette publique et annuler la dette privée ; – Régler le déficit commercial ; – Régler les avoirs extérieurs et négocier les comptes d’avances ; – Mettre en place un système d’assurance des dépôts ; – Créer un gendarme de la Bourse ; – Orienter le circuit du Trésor vers les grands travaux ;

– Créer une banque centrale avec une indépendance limitée ; – Rendre la monnaie flottante et semi-convertible. »

Toutefois, le nouveau Gouvernement gagnerait, dans cette éventualité, à conserver « l’or monétaire » en constituant une bonne réserve auprès de la future « Banque du Sénégal » à partir de la production nationale de ce métal précieux. En plus, il ne devrait pas annuler la dette privée mais chercher à l’optimiser avec des taux d’intérêt faibles sur une plus longue durée mais aussi l’employer pour financer des investissements productifs rentables.

Par ailleurs, à coté de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM), il faudrait créer une Bourse Régionale des Matières Premières (BRMP) pour mieux contrôler et maîtriser le flux des transactions sur nos matières premières agricoles et minières. En conclusion, toute réforme vers une plus grande souveraineté monétaire devrait reposer sur le développement d’une économie réelle africaine endogène portait par la transformation de nos matières premières agricoles et minières. En plus, il ne saurait y avoir de développement sans une Paix durable et une volonté politique orientée vers l’intégration des Peuples africains avec la fin des guerres civiles, des menaces djihadistes et des coups d’état militaires. Nous devons ainsi nous départir de l’afro-pessimisme tout en restant réaliste afin de faire de grands bonds en avant par la mise en œuvre de solutions concrètes pour sortir l’Afrique de la dépendance vers plus de souveraineté maîtrisée dans la Sécurité, la Justice et la Paix.

Dakar, le 12 août 2024

Expert commercial agréé

Expert mandataire judiciaire agréé Conseil financier

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *