Par Babacar Ndiogou / Membre cercle des cadres ACT
On assiste à un désordre préélectoral, dont le dispositif de parrainage généralisé est indiscutablement à l’origine. Pour restreindre le nombre de candidats aux élections et assainir le paysage politique sénégalais, il est impératif restaurer le code consensuel de Kéba Mbaye et de faire recours aux conclusions des Assises nationales ainsi que celles de la CNRI. Il convient également d’élaborer un nouveau code électoral garantissant un processus électoral plus juste, équitable et transparent et d’instaurer une loi rigoureuse régissant les partis politiques et de veiller à son strict respect. Il serait en outre judicieux de supprimer le dispositif de parrainage pour les partis politiques et de le rétablir pour les candidatures indépendantes, avec de nouvelles règles équitables et un nouveau système de vérification transparent.
Presque à chaque nouvelle élection, les politiciens professionnels nous concoctent un nouveau code électoral taillé sur mesure afin d’augmenter leurs chances ou d’entraver la participation d’opposants aux élections, voire de rendre éligible des condamnés de justice. Si l’on fait le bilan du parrainage, il n’est pas difficile de constater qu’il n’a pas contribué à éviter l’inflation massive des candidats à la candidature ni à réduire les candidats fantaisistes (des rigolos). Contrairement aux prétendues attentes des initiateurs de cette réforme, vivement critiquée et rejetée par une grande partie de l’opposition et par la Cour de justice de la CEDEAO, le nombre de candidats à la candidature s’est exponentiellement accru, atteignant un niveau record inédit dans l’histoire politique du Sénégal. Même l’Union européenne avait émis des réserves sur la fiabilité du système de parrainage.
En France, le comité Balladur en 2007 avait conclu que le parrainage par les citoyens est difficilement applicable en raison des difficultés liées à la collecte et au contrôle des signatures. Si la France éprouve des difficultés concernant la vérification des signatures, est-il possible que nous y parvenions? Est-ce que le Conseil constitutionnel procède réellement à la vérification des signatures conformément à la loi?
En effet, le nombre de candidats à toutes les élections a considérablement progressé depuis l’introduction généralisée du parrainage. Les mauvais génies à l’œuvre ont eu prétendument comme objectif de mettre en place un système juridique de filtrage des candidatures pour restreindre leur nombre. Mais, vraisemblablement, c’est le désordre qui s’est produit. De ce fait, on peut affirmer que le parrainage pour tous est l’une des causes du nombre anormalement élevé de candidatures. Le risque élevé de doublons externes, ainsi que celui non moins important d’être recalé en raison d’erreurs matérielles, incite certaines entités politiques à multiplier leurs candidatures pour maximiser leurs chances de figurer sur la liste définitive des candidats. Cela accroît par conséquent le nombre de candidats en lice.
De surcroît, malgré les changements promptement opérés au niveau de la loi électorale après le dernier dialogue, les entités politiques ayant la possibilité de recourir au parrainage des élus se sont impudemment bousculées sur le terrain avec les autres candidats pour recueillir des signatures, alors qu’elles n’en ont pas besoin.
Par ailleurs, en ce qui concerne la collecte, il convient de souligner un risque élevé de corruption liée à la monétisation des parrainages. En effet, il est surprenant de constater que des personnes qui n’ont jamais été sur le terrain et que l’on n’a jamais vues tenir une fiche de collecte entre les mains se retrouvent avec une quantité significative de parrainages, leur permettant ainsi de déposer leur dossier. Certains vont jusqu’à retirer le formulaire et collecter des parrains pour ensuite marchander leur soutien à d’autres candidats.
Il est aussi étonnant de constater que des personnes, qui n’ont jamais contribuer au débat public, n’ont fourni aucun effort sur le terrain politique et qui sont méconnues du grand public, retirent les fiches de parrainage. Nous devrions nous interroger sur les objectifs réels de certains d’entre eux. S’agit-il de manœuvres sordides visant à gonfler artificiellement le nombre de candidatures pour éparpiller les parrainages et augmenter les possibilités de doublons?
D’autre part, force est de constater que le nombre des candidatures indépendantes dépasse largement celui des candidats ayant postulé sous la bannière d’un seul parti politique. Ce constat laisse penser que les partis politiques ont pratiquement perdu leur signification dans le paysage politique senegalais. En imposant les mêmes critères de participation tant aux partis politiques qu’aux candidats indépendants, le rôle des partis politiques devient clairement négligeable. Bien qu’il soit souhaitable dans une démocratie d’encourager la participation massive des citoyens à la vie politique, il faut souligner que ce qui se déroule en ces périodes préélectorales sort définitivement de l’ordre de la rationalité; on assiste à un désordre électoral inédit, contribuant à compromettre l’intégrité de l’élection présidentielle en février.
Dès lors que le Conseil constitutionnel se trouve dans l’incapacité de vérifier les signatures, le mécanisme de parrainage d’un seul candidat avec recours au tirage au sort pour l’ordre de vérification devient inéquitable et injuste dans le contexte d’une démocratie. Le tirage au sort serait judicieux s’il existait une garantie que tous les prétendants au fauteuil présidentiel ont déployé des efforts équivalents sur le terrain politique pour recueillir des parrainages et participer au débat public et politique. Ce qui n’est pas le cas et on risque en conséquence d’éliminer des candidats potentiellement plus qualifiés et méritants.
Nous sommes persuadés que le système de parrainage tel qu’il est appliqué au Sénégal ne fonctionne pas tant comme un moyen de filtrage, mais plutôt comme un mécanisme sournois visant à éliminer le maximum de concurrents, en particulier les potentiels candidats de l’opposition.
On soutient souvent que le nombre de partis politiques au Sénégal est excessif et que le parrainage serait le seul moyen de limiter le nombre de candidats ou de candidatures. En réalité, les formations politiques véritablement actives et qui se conforment à la loi sur les partis politiques ne dépassent pas le nombre de dix. Au lieu d’instaurer un filtrage pour les candidats des formations politiques aux élections, il faudrait d’abord appliquer de manière stricte la loi sur les partis politiques et la renforcer avec de nouvelles règles afin d’assainir la scène politique sénégalaise. Ainsi, nous proposons de rétablir le code consensuel de Kéba Mbaye et de faire recours aux conclusions des Assises nationales ainsi que celles de la CNRI, afin d’établir un nouveau code électoral garantissant un processus électoral juste, équitable et transparent.
La création d’un nouveau parti devrait être soumise à la collecte préalable d’un nombre significatif de signatures de citoyens. De plus, il faudrait non seulement exiger des partis politiques de renouveler régulièrement leurs instances et d’organiser périodiquement des congrès, mais aussi de les imposer à disposer d’un siège avec des espaces permettant d’accueillir adhérents. Il convient également définir les modalités de financement des partis politiques et fixer un plafond pour les dépenses de campagnes électorales. Tout parti politique ne respectant pas la loi et n’ayant pas participé à deux élections successives serait simplement dissous. Il serait en outre judicieux de supprimer le dispositif de parrainage pour les partis politiques et de le rétablir uniquement pour les candidatures indépendantes, avec de nouvelles règles plus équitables et un nouveau système de vérification transparent.
Au regard du dynamisme de la participation citoyenne à la vie politique de notrepays, il serait très utile d’introduire le bulletin unique pour simplifier le vote et son organisation. L’application effective de ces réformes va assurer une belle ouverture democratique et renforcer le rôle des partis politiques. Pour y arriver, la bonne foi et la rigueur seront de mise.
Babacar Ndiogou
Membre cercle des cadres de l’Alliance pour la citoyenneté et le Travail (ACT)