Démocratie exemplaire : le mythe de la République irréprochable

à la une Contribution

Par Babacar GAYE

Il ne suffit pas que la République soit irréprochable. Il faut encore qu’elle ne puisse même pas être suspectée de ne pas l’être”.

Dans la perspective d’apaiser le climat politique, le Président Macky Sall a appelé au dialogue pour entre autres, trouver des voies et moyens permettant une participation inclusive des candidats à la présidentielle de 2024 et en filigrane à favoriser une catégorie de citoyens frappée d’une peine définitive de retrouver d’être à la fois électeur et éligible.

Tandis que les uns réclament la révision de leur procès, les autres envisagent l’amnistie. Et, d’autres encore, recommandent la modification du Code électoral.

D’évidence, il se pose avec acuité la problématique de la moralisation de la vie publique, de la démocratie exemplaire et du mythe de la république irréprochable.

D’emblée il n’est pas inintéressant de rappeler que quiconque souhaite présider aux destinées de la Nation doit être irréprochable à tout point de vue et exempt de tout soupçon. A fortiori lorsqu’il s’agit d’un délinquant financier ou d’un criminel repenti. Dans cette filiation directe, il faut tout de suite sanctuariser les articles L.57, L.29 et L.30 du Code électoral [voir plus loin] qui consacrés à la probité et la vertu : valeurs minimales pour celles et ceux qui ont la prétention de présider aux destinée du Sénégal. Modifier, réviser ou supprimer ces dispositions pertinentes de la loi engendrerait des conséquences lourdes et incalculables en ce qu’elle serait une entorse manifeste du principe sacro-saint de la moralisation de la vie publique.

Pour notre part, il s’agit avant tout d’interroger la qualité d’électeur d’une part et d’autre part de questionner la probité et de moralité de la classe politique.

De la qualité d’électeur

L’article L.57 ancien du Code électoral disposait : “Tout sénégalais peut faire acte de candidature et être élu sous réserve des conditions d’âge et des cas d’incapacité ou d’inéligibilité prévus par la loi”.

Après l’adoption de la loi numéro 2018-22 du 4 juillet 2018, apparait la notion d’électeur dans la nouvelle mouture de l’article L.57. Une modification qui efface la discrimination et rétablit l’égalité des citoyens devant la loi. En effet, exiger la qualité d’électeur pour tout candidat à l’élection présidentielle, n’est que justice et équité

Pour rappel, l’article L.57 nouveau alinéa 1er prévoit : “Tout sénégalais ÉLECTEUR peut faire acte de candidature et être élu, sous réserve des conditions d’âge et des cas d’incapacité ou d’inéligibilité prévus par la loi.”

Dans le raisonnement du législateur l’on ne peut continuer de justifier une telle discrimination alors que pour être candidat aux autres fonctions politiques, il faut se prévaloir de sa qualité d’électeur.

Pour être élu député : “Tout ÉLECTEUR inscrit peut être élu à l’Assemblée nationale dans les conditions et sous les seules réserves énoncées aux articles suivants.” (Article LO.157)

  • Pour les Hauts conseillers des Collectivités territoriales, “Tout candidat au Haut Conseil des collectivités territoriales doit être inscrit sur la liste électorale (ÉLECTEUR) d’une commune du département où il se présente.” (Article LO.207)
  • Pour les Conseillers départementaux, “Est éligible au conseil départemental, tout ÉLECTEUR du département présenté par un parti politique légalement constitué, par une coalition de partis politiques légalement constitués, ou par une entité regroupant des personnes indépendantes sous réserve des articles L.238 à L.241 du présent Code électoral.” (Article L.237)
  • Pour les Conseillers municipaux, “Sont éligibles au conseil municipal, tous les ÉLECTEURS de la commune, sous réserve des dispositions des articles L.272 à L.275.” (Article L.271)

Gardons d’ouvrir la boîte à Pandore. Des politiciens peu fréquentables peuvent s’en échapper et avilir la République.

De la probité et de moralité du personnel politique

Depuis toujours, la gestion de la cité a été toujours ponctuée par l’abus de pouvoir, la prévarication, l’impunité. Les bouleversements socio-politiques ont apporté des innovations majeures pour le bien de la société en éditant des règles applicables à tous les citoyens. Les hommes politiques sont de cette catégorie.

Au Sénégal la Constitution du 22 janvier 2001 et les lois et les règlements ont renforcé les règles de sélection. Sous ce rapport l’Article LO.160 du Code électoral qui fixe les conditions d’éligibilité de nos mandants stipule:

“Sont inéligibles

  1. Les individus condamnés, lorsque leur condamnation empêche d’une manière définitive leur inscription sur une liste électorale.
  2. Les individus dont la condamnation empêche temporairement l’inscription sur une liste électorale sont inéligibles pendant une période double de celle durant laquelle ils ne peuvent être inscrits sur la liste électorale.

Sont, en outre, inéligibles :

1° les individus privés par décision judiciaire de leur droit d’éligibilité en application des lois qui autorisent cette privation ;

2° les personnes placées sous protection de justice ou pourvues d’un tuteur ou d’un curateur.”

Alors pourquoi les Sénégalais devraient accepter en 2023 que des délinquants, des prévaricateurs, des criminels, des bannis et des civilement incapables participent aux compétitions à partir desquelles les citoyens choisissent les meilleurs d’entre eux pour diriger ?

A notre avis, aucune compromission, aucun aggiornamento, aucun deal, aucune paix des braves politiciens ne doit autoriser un tel recul dans notre commune volonté de moraliser la vie politique et d’en extirper les anti modèles pour qui sont érigés les garde-fous suivants du code électoral?

De l’inéligibilité définitive (article L29)

“Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale :

  1. Les individus condamnés pour crime
  2. Ceux condamnés à une peine d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée supérieure à un mois, assortie ou non d’une amende, pour l’un des délits suivants: vol, escroquerie, abus de confiance, trafic de stupéfiants, détournement et soustraction commis par les agents publics, corruption et trafic d’influence, contrefaçon et en général pour l’un des délits passibles d’une peine supérieure à cinq (05) ans d’emprisonnement ;
  3. Ceux condamnés à plus de trois (03) mois d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à six (6) mois avec sursis, pour un délit autre que ceux énumérés au deuxièmement ci-dessus sous réserve des dispositions de l’article L.28 ;
  4. Ceux qui sont en état de contumace ;

les faillis non réhabilités dont la faillite a été déclarée soit par les tribunaux sénégalais, soit par un jugement rendu à l’étranger et exécutoire au Sénégal ;

  1. Ceux contre qui l’interdiction du droit de voter a été prononcée par une juridiction pénale de droit commun;
  2. Les incapables majeurs.

De l’inéligibilité temporaire (Article L.30)

“Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale pendant un délai de cinq (05) ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les condamnés

–        soit pour un délit visé à l’article L.29, troisième tiret, à une peine d’emprisonnement sans sursis égale ou supérieure à un mois et inférieure ou égale à trois (3) mois ou à une peine d’emprisonnement avec sursis égale ou supérieure à trois (03) mois et inférieure ou égale à six (6) mois,

–        soit pour un délit quelconque à une amende sans sursis supérieure à 200.000 FCFA, sous réserve des dispositions de l’article L.28.

Toutefois, les tribunaux, en prononçant les condamnations visées au précédent alinéa, peuvent relever les condamnés de cette privation temporaire du droit de vote et d’élection.

Sans préjudice des dispositions de l’article L.29 et du premier alinéa du présent article, ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale pendant un délai fixé par le jugement, ceux auxquels les tribunaux ont interdit le droit de vote et d’élection par application des lois qui autorisent cette interdiction.”

Alors qu’en vertu des deux alinéas précités, le juge garde toutes ses prérogatives pour prendre une décision autorisant ou refusant l’éligibilité d’un condamné, les promoteurs d’une telle anomalie s’arque-boutent sur les modifications du Code électoral français en 1994 qui a évolué après deux siècles de vie politique.

Selon les tenants d’une telle thèse, l’inéligibilité ne peut être que la conséquence d’une peine complémentaire (donc obligatoirement prononcée par le juge) et non plus d’une peine accessoire (qui s’applique automatiquement) en référence à des dispositions du Code pénal français modifié le 1er mars 1994.

Voudrait-on dépouiller le peuple de son pouvoir absolu pour installer un gouvernement des juges? La tentation est forte, mais les comportements de nos politiciens ne s’y prêtent pas encore. Le rôle de l’argent sale et la pression de lobbys de tous ordres impactent négativement une vie démocratique qui n’a pas encore le label “standard international”.

L’ayant compris, le législateur français l’a rejeté en modifiant en 2017 cette disposition pour obliger le juge à prononcer la peine complémentaire d’inéligibilité pour une panoplie de délits (II de l’article 131-26-2) qu’il serait impossible d’énumérer dans le cadre d’une contribution.

 

En effet, près l’article 131-26-1, il est inséré un article 131-26-2 ainsi rédigé :

  1. Le prononcé de la peine complémentaire d’inéligibilité mentionnée au 2° de l’article 131-26 et à l’article 131-26-1 est obligatoire à l’encontre de toute personne coupable d’un délit mentionné au II du présent article ou d’un crime. Cette condamnation est mentionnée au bulletin n° 2 du casier judiciaire prévu à l’article 775 du code de procédure pénale pendant toute la durée de l’inéligibilité.”
  2. Les délits pour lesquels l’inéligibilité est obligatoirement prononcée sont …….

Ce qui nous ramène à la case départ de la loi électorale. Qui plus est, depuis 1992, ces articles L.29 et L.30 n’ont jamais varié.  Car, si l’on remonte à la loi 92-16 du 27 février 1992, lesdits articles L.3 et L.4 ont été repris dans la loi 97-15 du 8 septembre 1997 instituant l’ONEL en ses articles L.5 et L.6, puis dans la loi 2018-22 du 04 juillet 2018, en ses arts. L31 et L.32. Aucune modification n’a été apportée à leur rédaction initiale. Ils sont devenus L.29 et L.30 sous la loi 2021-35 du 23 juillet 2021 pour les besoins de numérotation des articles du Code électoral en vigueur.

Et pourtant, les mêmes acteurs qui ont participé au dialogue qui a débouché sur l’installation de la Commission cellulaire présidée par le juge Kéba Mbaye, veulent nous faire croire que les dispositions des articles L.29 et L.30 sont des inventions de l’actuel régime pour “éliminer des adversaires politiques”. Et donc qu’il faille les modifier!

Une telle démarche n’est ni opportune ni pertinente dans la mesure où la modification de la loi électorale pour permettre aux personnes qui font l’objet d’une condamnation privative de droits civiques et politiques de retrouver leur éligibilité, ne leur serait pas applicable du fait de la non rétroactivité de la loi. Un tel allègement des conditions d’éligibilité ne pourrait compter que pour l’avenir. C’est pourquoi, les termes de référence du Dialogue ne devraient pas inclure la modification des dispositions du code électoral qui excluent de notre système politique ceux qui ne sont pas des modèles de bon citoyen.

Ancien Ministre d’Etat

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