Discours touchant d’Abdoul Mbaye, à l’occasion du départ de Blaise Ahouantcede, directeur général du Gim Uemoa

Eco-Finance

Certaines des personnalités présentes savent pourquoi ce droit de parole m’échoit. D’autres peut être pas que j’entends d’ailleurs fort penser « ce n’est pourtant pas un meeting politique ». A moi donc de rappeler qu’au moment où Blaise quitte le GIM après 16 années de bons et loyaux services, celui qui a présidé le comité ad hoc ayant procédé à son recrutement et qui, malgré son grand âge possède encore toutes ses dents, reçoit comme un droit le privilège de livrer témoignage.

Et de quoi faut-il témoigner ?

D’un rêve devenu réalité. D’une réalité ayant dépassé toutes les espérances d’une institution à bâtir, d’une interbancarité à créer, d’une monétique à développer au sein de l’UEMOA.

 Dans la salle de conférence de la banque que je dirigeais à l’époque, ils se sont succédé. Jeunes professionnels aussi téméraires que les dirigeants de banques qui avaient retenu de mettre sur pied le GIM sous la forte impulsion de la BCEAO.

A la fin de la journée, décision fut prise de confier le cœur du projet à Blaise Ahouantchede. Il connaissait son sujet. Il en voulait. Il était prêt à abandonner son emploi en France pour venir démarrer à partir de rien un projet lourd et très ambitieux, ce en terre pas toujours accueillante. Les financiers évoquent le « green field » pour symboliser ce type de projet risqué. On devrait en Afrique plutôt évoquer le « brown field » tant tout y est toujours plus difficile et délicat, et donc plus sombre.

 Tant de choses étaient à faire : trouver des locaux, négocier un accord de siège, recruter la première équipe, créer de l’espoir et de l’adhésion au niveau des banques de l’UEMOA, résister au dénigrement des adversaires du projet, collecter les « cotisations des membres » tous banquiers et donc radins, préparer l’étude de faisabilité en veillant à être très optimiste – je n’ose pas dire en gonflant les perspectives de rentabilité – pour ne pas casser l’élan et l’enthousiasme des premières heures, justifier le retour sur les investissements importants nécessaires à une interbancarité ayant besoin de traitement instantané sur l’étendue des huit territoires de l’Union, qu’il y ait de l’électricité ou pas, qu’il y ait des télécommunications ou non.  Ce n’était pourtant là pas encore l’essentiel. Il fallait ensuite faire face à la très dure réalité : le projet consistait non pas simplement à développer une interbancarité, mais plutôt à la fois la monétique ET l’interbancarité.

En effet, on a peut-être tendance à l’oublier, mais ce qui a fait du GIM un projet presque insensé se trouve dans le fait qu’il ne peut y avoir d’interbancarité s’il n’y a pas de monétique. Par ailleurs, le développement de la monétique est lui-même à son tour dépendant de l’interbancarité qui lui donne son efficacité et son caractère attrayant comme moyen de paiement. Or il se trouvait que la plupart des banques membres du GIM n’avaient pas encore de monétique !!!

On ne peut non plus ne pas relever que le développement de la monétique dépend étroitement d’un changement des habitudes en matière de paiement. Le GIM et ses fondateurs devaient donc prendre également en charge une transformation culturelle à l’échelle de huit états de l’UEMOA, et même au-delà. Le GIM consistait dès lors en une révolution culturelle coûtant de très nombreux milliards de francs cfa, confiée à des banquiers engoncés dans leurs costumes non traditionnels, certes courageux mais non téméraires, et peut-être un tantinet harpagon.

Le GIM devenait ainsi un serpent cherchant à se mordre la queue en « brown field » rocailleux. Soit donc, ni plus ni moins, un projet titanesque, jugé par certains sans lendemain. Se souvenir de tout cela permet d’appréhender le chemin parcouru par Blaise et sa jeune, très jeune équipe. Mais cette jeunesse était nécessaire pour porter une quasi-folie que ne se privaient de stigmatiser quelques opérateurs bancaires sur le territoire de l’Union qui nous regardaient nous agiter avec ironie et condescendance.

 Et cette belle équipe a réussi. Avec Blaise comme chef d’orchestre. Les bilans ne peuvent se passer de chiffres et de statistiques. Ils sont plus éloquents que les beaux mots. Nous étions 32 banques à créer le GIM en 2002. Il compte maintenant 134 établissements membres ; Le GIM propose aujourd’hui 10.000 points de services DAB/GAB/TPE interconnectés et plus de 6 millions de cartes circulent sur son réseau ; En fin 2019 environ 1000 milliards de fcfa de transactions auront été traitées contre seulement 10 millions de fcfa en 2007 ; la croissance annuelle du volume de transactions ces 3 dernières années restant supérieure à 30% ;

Le GIM est devenue une institution bénéficiaire.

Ces seules données sont révélatrices d’un succès et d’une réussite immenses. S’y ajoutent de nombreuses autres réalisations qu’il serait trop long d’énumérer, mais indispensables à la gestion d’une forte croissance d’activité en toute sécurité et continuité de service, dans le respect de l’exigence de qualité requise par un service international se donnant des interlocuteurs mondiaux tels Visa ou Mastercard.

A l’instar de toutes les fois où l’occasion m’est donnée d’évoquer les premiers pas du GIM, je ne puis manquer de souligner le rôle o combien essentiel de la BCEAO dans l’éclosion et le développement du GIM. L’Institution a sonné l’alerte et le rassemblement pour faire prendre conscience du retard que prenait le système bancaire de l’Union sur le front de la monétique et de l’interbancarité. Elle a accompagné chacun des premiers pas du GIM, de sa constitution à son installation avec Madame Fatoumatou Zahra DIOP à la baguette.

Lorsque les banques ont atteint leurs limites de patience et de moyens dans le portage d’un projet qui nécessitait du temps long et beaucoup de moyens, elle a pris le relais et apporté les siens en entrant dans le capital du GIM. Sur notre Continent, où on se plait à comparer toutes relations à des liens de famille, reconnaissons que le GIM a eu une mère pour lui donner naissance, l’accompagner dans ses premiers pas, pour heureusement ensuite refuser de le sevrer en constatant qu’il peinait à atteindre une taille critique.

Le bilan tout juste décrit est également un des plus beaux actifs de la BCEAO. Il convient de le souligner même si la grande dame (dame et non plus mère) aime rester silencieuse et discrète.  Je ne saurai achever mon propos sans me livrer à une confidence. Lorsque le 3 octobre 2003 était venue l’heure de noter les candidats aux fonctions de Directeur général du GIM, j’avais personnellement donné un fort coefficient à un critère inhabituel. J’avais pris en compte que Blaise, laissant tout tomber en France, signait, s’il était recruté, une convention de non-retour. Découvrant les difficultés liées au projet il aurait été condamné à y rester parce qu’ayant déjà tout lâché en France. En opérations militaires cela s’appelle le « commando suicide » qui réalise sa mission et n’en revient qu’après l’avoir accomplie ou y perd la vie. Je me réjouis que tu sois encore parmi nous après l’avoir réussie, et te souhaite longue vie comme il y a 16 ans.

 Blaise, 16 ans de vie professionnelle c’est loin d’être négligeable. 16 ans de direction générale à la tête d’une même institution c’est un temps sans fin. C’est forcément des moments d’interrogation toujours, des périodes de doute parfois, être à cran souvent, du sacrifice absolument, dans la solitude du chef toujours. Mais avec un tel bilan c’est à son terme l’immense plaisir d’avoir grandement contribué à la modernisation des moyens de paiement d’un ensemble constitué par huit pays en développement. Et cela doit s’apprécier comme une contribution, bien plus que modeste, à leur histoire monétaire, et davantage que cela à leur Histoire tout court.

Quant au GIM, plus rien ne pourra dissocier ton nom de son futur que j’espère dans la continuité de tout ce que tu as su lui donner. Son histoire se confond désormais avec ton nom. Va donc vers les nouveaux défis que tu te donneras sans perdre ton enthousiasme, non plus ta volonté de grimper vers des sommets dans la patience et la persévérance. Je suis alors certain que d’autres réussites t’accueilleront.               

Que Dieu te garde Blaise.

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