Les Bissau Guinéens, et plus particulièrement les militants du PAIGC, ont l’impression que le Sénégal s’immisce dans leur vie politique. Dans cet entretien, Domingo Simon Pereira, arrivé premier lors du 1e tour, avec 40,13% des voix, affirme que son rival, Umaru Sissoko Emballo, revendique ouvertement son soutien.
Que dites-vous à ceux qui n’ont pas voté pour vous au premier tour?
Domingo Simon Pereira: Les élections sont une opportunité de choisir les personnes qui vont décider pour nous durant les prochaines cinq années. Donc, chacun doit faire son choix. C’est lors des échéances électorales qu’on peut exprimer notre sentiment et c’est très important pour notre pays. Ce sont les Bissau Guinéens qui doivent prendre en charge leur destin. C’est important qu’on se mobilise parce que l’abstention est une arme contre la démocratie.
Peut-on dire qu’avec vous le pays va vivre une nouvelle ère?
C’est ma conviction. J’appartiens à une génération qui rêve de vivre dans un pays stable, apaisé où chacun aura la possibilité d’exprimer ses compétences. C’est très frustrant quand vous vous retrouvez dans votre propre qui ne vous donne pas la chance de regarder vers l’avenir. Je ne peux rien réclamer à mon pays parce qu’il m’a donné plus que ce qu’il a donné à la plupart de mes concitoyens. En tant que candidat, je veux avoir l’opportunité de donner cette même chance à mes concitoyens. Il est possible de développer la Guinée Bissau. Il faut juste mettre certaines réformes en place.
Beaucoup de candidats soutiennent votre rival
Le plus important c’est le soutien du peuple et d’avoir un projet pour lui. Je regrette seulement de faire face à un candidat qui n’a pas un projet politique. Il devient donc facile pour les électeurs de faire le choix. Le débat c’est être d’accord ou pas avec ce que Domingo a proposé, parce qu’en face il n y a rien.
Que proposez-vous aux citoyens?
En 2014, quand j’étais Premier ministre, j’ai présenté un plan stratégique de développement opérationnel. D’ailleurs, le président Macky Sall nous avait accompagnés à Bruxelles pour faire sa promotion. C’était un contrat social qu’on avait proposé au peuple qui avait établi les objectifs globaux. On avait identifié les sources de croissance pour notre économie, mais nous nous sommes dit que tout cela doit être basé sur la stabilité et la paix. C’est un pays qui a plus de 35 ethnies, chacune avec sa volonté de s’affirmer. Vous ajoutez à cela un taux d’analphabétisme de plus de 60% et un taux de pauvreté compris entre 63 et 65%. En plus, en 1974, lorsque l’indépendance a été proclamée ont été fiers, mais est-ce qu’on était prêt à bâtir un Etat. Il faut reconnaître que nous sommes la première génération qui a été formée pour l’administration. Il ne faut pas regarder notre pays avec un sentiment de fatalisme et dire qu’on ne va pas y arriver.
Concrètement que proposez-vous du point de vue économique?
Dans les années soixante déjà notre leader Amilcar Cabral disait que l’économie ne doit pas être basée uniquement sur l’agriculture. Nous avons fait un diagnostic et nous avons identifié cinq sources de développement. Au niveau sous-régional le taux de croissance se situe entre 3 et 3,5%, notre objectif c’est d’arriver à 10% au moins.
Pouvez-vous le faire ?
C’est une ambition que je prends au sérieux. Lorsque je suis arrivé au pouvoir, le taux de croissance était de 0,8%. En sept mois on est passé à 2,7%. Et à mon départ il était à 4,7% avec une projection de 5,2%. Après la croissance économique a connu une chute. La gouvernance n’est pas une question de chance, il faut faire le diagnostic, ensuite des projections sur des objectifs qu’on se fixe et enfin mettre en place des stratégies. Nous pouvons avoir d’autres sources de revenus. La première c’est la transformation de la noix d’acajou, parce que nous avons un potentiel d’exportation de plus de 300 mille tonnes. Mais nous ne pouvons pas continuer à exporter le produit brut. Si je compare la capacité de pêche de notre pays et celle de la Mauritanie, nous avons à peu près des revenus d’environ 9 millions d’euros, alors que ce pays touche 240 millions par an pour la même quantité. Il nous faut être capable de négocier mais pour cela, il nous faut connaître notre potentiel. Nous avons aussi le tourisme. Nous avons 88 îles dont une quarantaine sont vierges qui attendent d’être mises en valeur. Le tourisme participe pour 20% dans l’économie du Cap-Vert, alors qu’il est de 0,2%. Nous avons donc un potentiel de croissance énorme. Nous avons aussi beaucoup de ressources naturelles, mais l’agro business doit être le moteur de l’économie.
N’avez-vous pas senti la main de Macky dans cette campagne ?
Nous sommes des pays frères et les populations ont la même origine. Notre pays plus particulièrement a intérêt à ce que cette relation soit approfondie. Je reconnais aussi que le président Macky Sall nous a beaucoup aidés. Quand j’étais Premier ministre, il m’a accompagné lors de la table ronde qui s’était tenue à Bruxelles. Je lui exprime toute ma gratitude pour sa disponibilité. Mais, il faut reconnaître que quelque part, peut-être qu’il n’a pas la bonne information, qu’il y a une perception négative que les Bissau Guinéens ont de sa présence dans notre politique nationale. Cette présence était sentie lors des législatives et actuellement avec cette présidentielle. Car des candidats revendiquent son soutien.
Quel appel lui lancez-vous?
Le président Macky Sall est un frère. Il était toujours disponible à nous accompagner. Il faut qu’on soit capable de gérer non seulement la perception, mais aussi la réalité des choses. La Guinée Bissau est un pays souverain. Il faut que les Bissau Guinéens puissent regarder le président du Sénégal avec un sentiment qu’il y a un traitement qui est normal, juste et qui n’a pas d’interférence. Une fois les élections passées, on aura besoin d’un dialogue. Les Bissau Guinéens doivent apprendre à connaitre les Sénégalais et à les respecter et vice versa pour qu’ensemble, on crée des zones d’opportunités qui vont profiter à tous.
La stabilité de la Casamance dépend en grande partie de celle de la Guinée Bissau.
Le moment est arrivé pour que nous prenions la responsabilité de nos actes et de notre histoire. On parle toujours du problème de la Casamance. Est-ce qu’il y a un dialogue entre le Sénégal et la Guinée Bissau Guinée ? On s’est perdu quelque part à trouver des formules miraculeuses pour régler cette question quand il s’agit de faire la promotion d’une inclusion. En Guinée Bissau, on ne réclame pas quelque chose d’extraordinaire, mais on ne va pas accepter d’être traité moins que les autres. Les autorités sénégalaises, gambiennes et Bissau guinéennes doivent s’assoir autour d’une table pour discuter de la question. Il ne faut pas rêver de la modification de la géographie. C’est cela qui existe. C’est que nous avons hérité. En tant que frères, nous devons créer des opportunités. Dans la plupart des cas, quand des situations d’instabilités chroniques surviennent dans un pays, c’est parce que la jeunesse ne croit plus à l’avenir. Nous attendons une coopération entre la Guinée Bissau et le Sénégal profitable aux deux peuples.