Par Mouhamadou Mounirou SY, Maitre de Conférences en droit public Université de THIES
Selon George Santayana, “le chaos est le nom que l’on donne à tout ce qui produit la confusion dans notre esprit”. Depuis le 03 janvier 2019, date à laquelle la Cour suprême a rejeté le pouvoir en cassation contre la décision d’appel rendue sur l’affaire dite de la Caisse d’avance de la Mairie de Dakar, la notion de “rabat d’arrêt” est sur toutes les langues et domine la quasi-totalité des médias. A force d’arguments contradictoires, la confusion s’installe et l’opinion s’y perd. De quoi s’agit-il alors ? Le rabat d’arrêt est-il suspensif et produit-il un effet quelconque sur la candidature de l’ancien maire Dakar à l’élection présidentielle ?
Avant tout, les besoins de la pédagogie nous impriment à être d’accord sur la définition, en sens et en signification, de ce qu’est le rabat d’arrêt. Il est la décision par laquelle une juridiction met en néant une précédente décision, rendue par elle-même dans la même affaire suite à une erreur matérielle de procédure commise aussi par elle-même. Donc, la requête en rabat d’arrêt a pour objectif de “rabattre” comme il est admis dans le jargon procédural, afin de procéder à un “retrait”, à une “rétractation” pour permettre un nouvel examen. Ce procédé est utilisé en instance de cassation et réservé à des hypothèses très exceptionnelles.
Notons qu’en droit civil, l’étude des recours, même extraordinaires, ne fait aucunement mention au rabat d’arrêt. Seule la loi organique 2017-09 du 17 janvier 2017 sur la Cour suprême fait référence au rabat d’arrêt à l’exposé des motifs repris textuellement par l’article 51 de la même loi, aux articles 7 et 52 qui, lui, renvoie aux articles 32 et 42 sur l’application des procédures proprement dites. Le législateur de 2017, plus que celui de 2008 sur la Cour suprême, semble intégrer le rabat d’arrêt dans le régime normal du pourvoi en cassation par le procédé qu’on appelle en légistique “le renvoi balai”, puisqu’aux termes de l’article 52 al. 2, il est dit que : “les dispositions des articles 32 et 42 de la présente loi organique sont applicables aux procédures en rabat d’arrêt déposées par les parties”.
La référence à ces dispositions, qui sont les seules à régir le rabat d’arrêt, montre qu’aucune d’elle ne parle de l’effet suspensif de la requête du rabat. La loi organique qui prévoit le rabat d’arrêt ne prévoit nullement et aucunement le caractère suspensif du rabat. Il est vrai que l’article 36 peut le laisser croire lorsqu’il dispose que “les délais de recours et le recours ne sont suspensifs que dans les cas suivants (…) : 4 – en matière pénale, sauf, d’une part, en ce qui concerne les condamnations civiles et, d’autre part, l’existence de dispositions législatives contraires”. Cela prouve qu’en matière de rabat d’arrêt, le principe demeure le caractère non suspensif et l’exception étant en matière pénale hormis les condamnations civiles.
La lecture de cette disposition soulève plusieurs commentaires sur l’effet de la requête en matière pénale. D’abord, la requête en rabat ne porte pas sur la décision d’appel mais sur le rejet d’un pourvoi par la juridiction de cassation ayant violé une règle ou commis une erreur de procédure assortie d’une incidence sur le caractère définitif de l’arrêt. Si cela avait pour conséquence la suspension des effets produits par l’arrêt rendue par la Cour d’appel, rien que le pourvoi, introduit devant la Cour suprême et dont le rejet suscite la question du rabat, devrait mettre fin à la détention des requérants puisque l’article 36 semble l’autoriser. Et pourtant, tout le long du pourvoi, l’idée d’une libération n’a point été évoquée encore moins invoquée puisque la détention, elle, n’est pas suspensive.
Mais avant d’en arriver à la conclusion d’une décision favorable à la suite d’une requête en rabat d’arrêt, il faut d’abord étudier la recevabilité de celle-ci. Elle semble s’adosser sur une violation de l’article 10 de la loi organique qui instaure une règle procédurale relative à la composition impaire des chambres de la Cour suprême pour statuer. Ainsi, dit-il : “Les chambres sont composées chacune d’un président, de conseillers et de conseillers délégués ou référendaires. Elles siègent obligatoirement en nombre impair”. Il est soutenu que seuls six personnes auraient siégé à l’audience. Ainsi, par cette requête en rabat d’arrêt, on inviterait la Cour à rétracter la décision qu’elle aurait rendue au motif qu’il y eut eu une faute imputable au dysfonctionnement du greffe. Un élément de taille doit être intégré sur la recevabilité de la requête correspondant à un critère supplémentaire d’erreur de procédure que l’adverbe “obligatoirement” vient renforcer.
Mais, en droit de procédure judiciaire, une décision de justice est largement tributaire du greffier. Sans greffier, pas d’audience, dit-on. Or, le plumitif d’audience contient des mentions matérielles qui font foi jusqu’à inscription de faux. C’est ce que consacre l’article 18 du Code des Obligations Civiles et Commerciales (COCC) en ces mots : “l’acte authentique fait pleine foi à l’égard de tous et jusqu’à inscription de faux de ce que l’officier a fait pour constater personnellement conformément à ses fonctions”.
Donc, le nombre pair ou impair ayant rendu la décision émanera des constatations matérielles établies par l’officier public qu’est le greffier tel qu’il ressort de l’arrêt de la Chambre d’accusation 213 du 27 septembre 2001, Ministère public/Alassane Diakhaté. Il faut donc que ce motif de recevabilité soit établi pour que le recours en rabat puisse prospérer.
Ensuite, si elle était recevable, le caractère suspensif de l’arrêt de la Cour d’appel recherché par les requérants installerait le mécanise du double pourvoi. Ce serait un pourvoi sur le pourvoi. En filigrane, cela voudrait dire qu’un pourvoi ne suffit plus pour qu’un acte soit exécutoire. or, le droit processuel enseignerait que le rabat d’arrêt porte uniquement sur la décision de la Cour suprême, juge de droit, et non sur l’arrêt de la Cour d’appel , juge de fond dont la décision est frappée de l’autorité de la chose et s’applique erga omnes.
D’ailleurs, il faut le prendre pour dit : l’effet dévolutif de l’appel ne s’applique pas dans l’occurrence de cette cassation. Ce qu’il faut exécuter au fond, c’est l’arrêt de la Cour d’appel qui condamne à 5 ans. Sur le caractère suspensif du rabat qui pourrait frapper la décision de la Cour suprême, il faut noter que l’arrêt de la Cour d’appel reste exécutoire et c’est ce qui explique la détention des accusés nonobstant le pourvoi dûment introduit par leurs avocats et l’article 36 de la loi organique qui prévoit le caractère suspensif des délais de recours et du recours lui-même (c’est-à-dire le pourvoi en cassation) en matière pénale.
On comprend maintenant la raison d’une certaine méfiance du juge suprême, dès le début, à l’égard du rabat d’arrêt. Pour lui, il serait susceptible d’être utilisé comme dilatoire et argument superfétatoire. Ce qui l’avait amené très tôt à en restreindre l’usage à tel point que le Professeur Elhadj Mbodj proclamait “la mise à mort du rabat d’arrêt”. Mais, il ne faut pas s’y tromper pour éviter d’être aveuglé. En droit, si on ne nomme pas la chose, on perd le nord. Et si les juristes, théoriciens comme praticiens du droit, perdaient la capacité à nommer, ils n’auraient plus de crédibilité.
On serait même amené à croire que par “rabat”, les requérants l’ont confondu avec l’autre nom qu’on lui donne, correspondant au morceau de tissu blanc plissé que portent les agents de la justice, qui prend le col de leur tenue d’audience sous forme de bavette et très visible chez les sages du Conseil constitutionnel. Cela peut paraitre même vrai puisque l’issue du pourvoi fait croire à une possible ou non-participation de Monsieur Khalifa Sall à l’élection présidentielle.
Or, une chose est d’avoir la recevabilité d’une requête en rabat d’arrêt. Une autre est d’être éligible à une élection. Mais, LA CHOSE est d’être déclaré candidat à une présidentielle. Le droit nous le dira par la bouche des juges !