Elections législatives : Feu sur l’inflation des listes !

Contribution

Par Ousmane BADIANE* 

Dans ma précédente contribution en date du 15 mai 2017 intitulée : «Enjeux et défis des législatives 2017», je faisais observer que ce scrutin allait marquer de façon incontestable, un tournant décisif dans l’évolution politique et démocratique de notre pays. En effet, après la publication des 47 listes validées par le Mint, pour aller à l’assaut des suffrages des Sénégalais, des interrogations et des inquiétudes se font jour dans toutes les sphères de la société, sur la façon dont le scrutin va se dérouler, au regard du nombre relativement élevé des listes en compétition. En dépit d’une tradition électorale vieille de plus d’un siècle et demi dans notre pays, aujourd’hui, tout le monde s’interroge. Le paradoxe d’une telle situation, c’est qu’à la fois, tout le monde et personne n’est responsable. Nous sommes donc tous interpellés, parce que placés devant une situation que nous devons assumer collectivement.

Devant le rythme effréné de création des partis politiques auquel on a assisté depuis la première alternance politique intervenue en mars 2000, on voyait venir les conséquences, mais personne n’a voulu tirer la sonnette d’alarme suite à cette prolifération des partis politiques. Les dernières élections locales de 2014 nous avaient déjà donné un avant-goût de ce que nous vivons actuellement, avec 2 709 listes en compétition, sur tout le territoire  national. Mais du fait du caractère local du scrutin, les difficultés organisationnelles liées au vote n’ont pas été bien ressenties par les populations. Le scrutin s’est finalement bien passé avec très peu de contestations. Pourtant, ce n’était pas évident au départ parce que c’était la première fois qu’on avait un tel nombre de listes à des élections locales.

C’est pourquoi, au lendemain du scrutin,  les acteurs politiques ont rendu un vibrant hommage au ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo, et à toute son équipe, composée de techniciens chevronnés en matière d’organisation d’élections. L’Administration sénégalaise qui a organisé deux alternances politiques pacifiques et démocratiques en 2000 et 2012, est composée de techniciens compétents, ayant un sens élevé de l’esprit républicain. C’est la raison pour laquelle, elle est souvent sollicitée par de nombreux pays dans l’organisation d’élections.

L’atelier de simulation organisé le 19 juin 2017 à Dakar, par l’Ong 3D, et auquel étaient conviés l’ensemble des acteurs politiques, la société civile ainsi que les institutions impliquées dans l’organisation et le déroulement du processus électoral, doit être fortement salué et encouragé. A travers une bonne visualisation et une bonne simulation des procédures et du temps de vote, rigoureusement chronométré, il a permis de pointer du doigt toutes les difficultés qui pourraient porter atteinte à la transparence, à la sincérité et à la crédibilité du scrutin du 30 juillet 2017. Il ressort de cet exercice que, rien que pour le temps de vote, avec 47 bulletins avec un temps moyen de 4 minutes, au strict minimum, pour accomplir les actes de vote, dans un bureau de vote de 300 électeurs, il faudrait 20 heures pour que tout le monde puisse voter.

Selon la loi électorale, l’heure d’ouverture des bureaux de vote est fixée à 8 h et la fermeture à 18 h (soit 10 heures de temps de vote), avec la possibilité de proroger jusqu’à 20 h, au besoin, selon l’appréciation de l’autorité administrative compétente. L’article L. 66 du Code électoral fixe le nombre d’électeurs, au plus, à 600 par bureau de vote dans les communes ; alors que suivant l’article L. 63, «le scrutin ne dure qu’un seul jour et a lieu un dimanche». Si l’on tient compte du nombre important de personnes autorisées à fréquenter ou à siéger dans les bureaux de vote (représentants des listes, mandataires, candidats investis, délégués des Cours  d’Appel, etc.), ainsi que du nombre de Pv et de documents électoraux à dresser à la fin des opérations de vote, on peut mesurer toutes les difficultés qui pourraient se dresser sur le chemin des législatives.

C’est dire que si les acteurs politiques et les autorités en charge de l’organisation et de la supervision des élections, ne se concertent pas pour trouver un consensus sur les mécanismes à mettre en œuvre, pour alléger et simplifier les procédures de vote, de nombreux Sénégalais ne pourront pas s’acquitter de leur devoir civique le 30 juillet 2017. Si l’on n’y prend garde, cela participerait, sans nul doute, à augmenter le taux d’abstention, mais contribuerait aussi et surtout à jeter le discrédit sur le scrutin. Comme le dit l’adage, «un problème bien posé, est à moitié résolu». Il est  donc heureux de constater que des pistes de solutions semblent se dessiner depuis que l’Ong 3D a lancé des alertes, avec l’atelier de simulation qui a été organisé récemment. C’est tout à son honneur si l’on sait que la société civile est devenue une sentinelle  vigilante de  l’observation et de la surveillance du processus électoral.

La prolifération des listes aux législatives 2017 offre, à la classe politique, l’opportunité de se pencher très sérieusement sur la question en débat de la rationalisation des partis, et même de leur financement. Cette question figurait déjà  parmi les points soumis aux Sénégalais lors du Référendum du 20 mars 2016. Si donc une solution n’est pas trouvée à ce problème, l’inflation des listes aux élections à venir, serait encore beaucoup plus importante, puisque le nombre de partis va grossir de plus en plus. Et avec la décision prise récemment  permettant aux candidats indépendants de pouvoir participer à tous les types d’élection, on risque de se trouver devant une situation absolument ingérable. Aujourd’hui, il existe au Sénégal 285 partis légalement constitués à la date du 15 juin 2017, selon les sources du ministère de l’Intérieur. Comment est-on arrivé à une telle situation ? Qu’est-ce qui explique cette inflation vertigineuse des partis politiques à laquelle nous assistons de jour en jour ?

Le multipartisme, formellement consacré par l’article 3 de la Constitution du 7 mars 1963, après une parenthèse de 8 années (1966- 1974), allait se traduire dans les faits, avec la naissance le 8 août 1974 du Parti démocratique sénégalais (Pds), qui obtient son récépissé de déclaration le 8 décembre de la même année. Sur sa lancée, le Rassemblement national démocratique sénégalais (Rnd), créé en 1975 par le Pr Cheikh Anta Diop, déposa une demande de reconnaissance à la gouvernance de la région du Cap Vert. Pour freiner cette frénésie pluraliste, le gouvernement prit les devants en faisant voter par sa majorité parlementaire la loi n° 75-68 du 9 juillet 1975, modifiant la loi n° 64-09 du 24 janvier 1964, relative aux partis politiques.

La Constitution de la République du Sénégal définit le cadre de création et de fonctionnement des partis politiques. La Loi n° 89-36 du 12 octobre 1982, qui modifie la loi n° 81- 17 du 6 mai 1981, fixe les modalités et les conditions dans lesquelles les partis politiques et les coalitions de partis politiques se forment, exercent et cessent leurs activités. Elle définit, en même temps, leurs droits et leurs devoirs. L’article 4 de la Constitution fait des partis politiques des organisations officielles chargées de concourir au suffrage universel pour conquérir le pouvoir politique et l’exercer. Leur mission, entre autres, est de recruter les candidats aux différentes élections, d’encadrer les électeurs en développant leur conscience politique et d’expliquer les options arrêtées par le gouvernement ou bien de le critiquer en proposant des alternatives crédibles.

Sur les partis politiques, pèsent des obligations découlant de la loi n° 81-17 du 6 mai 1981, qui fixe les règles relatives à leur fonctionnement. La création de tout parti politique est subordonnée au respect préalable de conditions de forme et de fond. Ils sont obligatoirement constitués sous forme d’association, conformément aux dispositions des articles 812 à 814 du Code des obligations civiles et commerciales ; et, soumis aux règles communes à toutes les associations et à des règles particulières. En effet, les partis politiques sont des personnes morales de droit privé. Ils obéissent aux règles de constitution des associations. A la base d’un parti politique, il y a un contrat faisant naître des droits et des obligations en faveur et à la charge de tous ses membres. Les règles générales sur la formation du contrat s’appliquent aux partis politiques. La liberté d’association préside à la formation des partis politiques qui se forment librement sans aucune autre formalité que celle relative à la déclaration préalable et de l’enregistrement. Le parti doit être déclaré par le dépôt en double exemplaire de ses statuts, du procès- verbal de l’Assemblée générale constitutive et de la liste des membres de son administration auprès de l’autorité compétente (en l’espèce le préfet). Il est délivré récépissé de ce dépôt. La déclaration fait l’objet d’un enregistrement après un contrôle préalable de légalité.

La délivrance du récépissé de déclaration d’un parti est subordonnée au respect de mentions, déclarations et dépôts obligatoires. Conformément à l’article 2 de la loi n° 81- 17 du 6 mai 1981, les statuts d’un parti politique doivent obligatoirement mentionner l’engagement de respecter la Constitution ainsi que les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie, la non identification du parti à une race, à une ethnie, à une religion, doit apparaître clairement dans les statuts. Les déclarations qui sont prévues par l’article 3 de la loi n° 81- 17, sont au nombre de deux (2) : La déclaration sans délai de toute modification apportée aux statuts et la déclaration annuelle au plus tard  dans les 8 jours suivant la date anniversaire de la délivrance du récépissé, des prénoms, noms, professions et domiciles de ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de son administration

Les partis politiques doivent déposer chaque année, au plus tard le 30 janvier, le compte financier de l’exercice écoulé. Ce compte doit faire apparaître que le parti ne bénéficie d’autres ressources  que de celles provenant des cotisations, des dons et legs de ses adhérents ou sympathisants nationaux ainsi que des bénéfices réalisés à l’occasion de manifestations lucratives. Cette disposition interdit aux partis de recevoir directement des subsides de l’étranger (même émanant d’un national) ou d’étrangers vivant au Sénégal.

Voilà en résumé, les conditions de forme et de fond qui régissent les conditions de création et de fonctionnement des partis politiques. Le non-respect de ces dispositions peut entraîner la dissolution d’un parti. Des enquêtes qui ont été effectuées il y a quelques années, ont montré que moins de 6 (six) partis s’acquittent régulièrement du dépôt annuel du  compte financier de l’exercice écoulé, fixé au plus tard le 30 janvier. Beaucoup de partis politiques n’ont ni instances régulières qui se réunissent, ni siège social pour recevoir du courrier, ni même une adresse connue de leur  déclarant responsable. C’est sans doute, ce qui explique que certains partis sont qualifiés ironiquement de «partis cabines téléphoniques». Il convient de noter que depuis le multipartisme intégral, aucun parti n’a été dissous ni même sanctionné pour non-respect des dispositions législatives et réglementaires qui les régissent.

En conclusion, nous pouvons affirmer que l’avènement du président Abdou Diouf à la magistrature suprême le 1er janvier 1981, a marqué la fin du quadripartisme au Sénégal. Les lois n° 81- 16 du 6 mai 1981, portant révision de la Constitution et n° 81- 17 du 6 mai 1981 relative aux partis politiques ont profondément bouleversé le paysage juridique des partis politiques et leur montée rapide en flèche. De la loi des 4 courants en 1976 à nos jours, le fichier du ministère de l’Intérieur enregistre à l’heure actuelle 285 partis légalement constitués : sous le magistère de Léopold Senghor, à l’époque de l’ouverture démocratique limitée,  il y avait 4 partis ; sous celui de Abdou Diouf (1980- 2000), 39 partis ont vu le jour ; sous celui de Abdoulaye Wade (2000- 2012), 143 partis ont été légalisés et, entre les deux tours de la présidentielle 2012, onze (11) partis ont reçu leur récépissé de déclaration, délivré le même jour, à la date du 22 mars 2012. Depuis l’avènement de Macky Sall en 2012 jusqu’à  aujourd’hui, 99 partis ont été créés. Cela fait au total 285 partis légalement constitués, pour une population estimée à 14 millions d’habitants.

Evidemment, il y a lieu de tenir compte du fait que le fichier du ministère de l’Intérieur n’est pas toujours mis à jour, réactualisé, car beaucoup de formations politiques ont complètement disparu de la scène politique, à l’image du Parti africain pour l’indépendance des masses (Pai/M) de feu Aly Niane, du Front pour le progrès et la justice (Fpj) de feu Insa Sankharé, du Parti pour la libération du peuple (Plp) de feu Bakhao Sall, de l’Union pour le renouveau démocratique/ Front pour l’alternance (Urd/Fal)…, du fait que certains partis de gauche avaient fusionné à l’époque, vers les années 1990 (Udp+Ost+Aj/Mrdn) pour former And Jëf/ Parti africain pour la démocratie et le socialisme (And Jëf/Pads) , divisé aujourd’hui en deux fractions : celle de Landing Savané et celle de Mamadou Diop «Decroix».  Mais les fusions les plus médiatisées, c’était du temps du magistère du président Wade. Et chose curieuse, dès que le Pds a perdu le pouvoir en 2012, ces partis qui s’étaient dissous dans la formation libérale, se sont empressés de reprendre leur sigle et leur autonomie. A l’heure actuelle, Il semble qu’il y a  plusieurs demandes de légalisation de partis qui sont en cours d’instruction dans le circuit du ministère de l’Intérieur. Bref, un toilettage du fichier s’impose pour avoir la cartographie réelle et actualisée des partis politiques sénégalais.

L’inflation démesurée des listes en compétition aux législatives du 30 juillet, nous offre donc une formidable opportunité pour que tous les acteurs du jeu politique se retrouvent autour de la table de concertation pour trouver un consensus à l’épineuse équation de la rationalisation des partis. Le Protocole additionnel de la Cedeao souvent évoqué, dit seulement que dans les pays de cet espace communautaire, au moins 6 (six) mois avant les élections, on ne doit pas modifier les règles du jeu, sans un large consensus entre les acteurs politiques. Il ne s’agit donc pas d’unanimité des acteurs, car, c’est une chose sinon impossible, du moins  très rare en politique. Puisque nous sommes en face d’une situation qui interpelle tous les acteurs politiques, qu’ils soient de la majorité, de l’opposition, des non-alignés ou des indépendants, tout le monde veut que les élections se tiennent à date échue, que le scrutin puisse se tenir dans de bonnes conditions et en toute transparence, pour permettre à chaque électeur et à chaque électrice, de pouvoir s’acquitter de son devoir civique. C’est à ces conditions, et à ces conditions seulement, que la vitrine de la démocratie sénégalaise qui a toujours brillé de mille feux dans le firmament des nations authentiquement démocratiques, puisse continuer son ascension et scintiller par un éclat encore plus vif et plus intense dans le ciel de l’émergence. Ainsi,  notre pays pourrait s’engager résolument et définitivement, la tête haute, dans le chemin de la modernité.

 *Secrétaire national chargé des élections

   de la Ligue démocratique (Ld)

Mail : ousmanebadiane1@gmail.com

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