PAR LE PROF ABOU KANE
Certains ont du mal à comprendre pourquoi les jeunes prennent autant de risques en bravant la mer pour atteindre les côtes européennes. Ce voyage, si risqué soit-il, est perçu comme un investissement car il faut payer pour partir et ce petit montant pourrait être investi sur la terre ferme si l’environnement des PETITES affaires était amélioré sans penser seulement aux grandes entreprises.
✍️ Pourquoi c’est un investissement ?
Prendre la pirogue n’est pas gratuit ; il faut payer. Cet argent provient de l’épargne des jeunes ou d’une autre source de financement, la famille notamment . C’est exactement comme l’investisseur qui opère sur fonds propres ou sur financement d’une banque. Puisqu’à un niveau de risque donné, l’agent économique cherche le rendement le plus élevé, le candidat à l’émigration considère que partir est plus rentable que rester.
Markowitz, Prix Nobel d’économie 1990, décédé il y a un mois (juin 2023), est à l’origine de la théorie moderne du portefeuille qui explique les décisions d’investissement à travers la diversification, sur la base de l’optimisation du couple rendement/risque. Le portefeuille ici est composé de deux actifs: rester au pays pour une durée déterminée avec des revenus faibles et prendre les pirogues en considérant que la probabilité d’arriver est plus forte que celle de mourir en mer. Sur le cycle de vie, le jeune doit déterminer à quel moment partir et quel est le niveau de revenu acceptable pour renoncer au voyage et vivre décemment au Sénégal.
✍️Et la politique d’emploi dans tout ça ?
L’Etat a mis en place un important dispositif d’accompagnement des jeunes (DER,3FPT et autres) et a beaucoup recruté dans la fonction publique. Chaque année on sort des chiffres sur les taux de croissance, les milliards de financement pour les jeunes, les milliards investis dans tel ou tel projet potentiellement porteur de croissance et créateur d’emplois.
Malheureusement, du point de vue de celui qui pend les pirogues, tout cela est comparable à l’alternative de déposer son épargne en banque (c’est sûr mais peu rentable) au lieu de l’investir dans une opportunité qui se présente (c’est risqué mais potentiellement très rentable).
Le défi est double pour l’Etat. D’une part il faut garantir une plus grande transparence et une prévisibilité accrue des bénéficiaires à partir de leurs profils pour que chaque jeune se sente concerné par le dispositif d’accompagnement. D’autre part il faut intégrer la réalité selon laquelle un des aspects les plus importants d’une stratégie nationale de lutte contre l’émigration clandestine est de rendre le pays attractif, non pas pour les investisseurs étrangers seulement (pour attirer les IDE) mais aussi et surtout pour les petits investisseurs sénégalais qui veulent faire du business à partir de petits montants.
FASEG/UCAD