En dix ans, le continent doit créer 122 millions de postes pour ses jeunes. Un défi de taille, mais pas inaccessible si les gouvernements misent sur la transformation du secteur informel et sur plusieurs gisements d’embauches.
122 millions de postes à créer en Afrique
Les chiffres concernant le continent ne souffrent d’aucune ambiguïté. Le Maghreb connaît un taux de chômage de 27 % en moyenne, qui atteint 40 % chez les jeunes femmes. Au sud du Sahara, où ce chiffre grimpe jusqu’à 50 %, le problème porte également sur la qualité des emplois, avec 40 % de travailleurs pauvres.
Les gouvernements africains affichent leur bonne volonté en organisant tous les deux ans une rencontre des ministres du Travail de l’Union africaine consacrée à l’emploi et au développement social. La dernière en date a eu lieu à Alger du 24 au 28 avril. Mais les faits sont têtus. Ainsi, la Guinée compte, pour une population active de 5 millions de personnes, « environ 100 000 postes dans le secteur public et 60 000 dans le privé », estime Mamadou Saliou Diallo.
Pourtant le chômage n’est pas une fatalité. Dans la deuxième édition du rapport Lions on the Move, paru en septembre 2016, le cabinet de conseil McKinsey tablait ainsi sur 6 à 14 millions de créations d’emplois en dix ans… si la formation et l’industrialisation suivent.
Des chefs d’entreprise et des économistes mettent en avant de véritables gisements d’emplois, notamment dans l’artisanat, les métiers techniques, ou s’appuyant sur les nouvelles technologies de la communication ou celles liées à l’environnement.
Emplois verts : un horizon dégagé
L’OIT estime que la transition écologique créera pas moins de 60 millions d’emplois d’ici à 2030 dans le monde. « Les effets d’une économie plus sobre en matière d’émission de gaz à effet de serre se feront sentir en Afrique comme ailleurs », estime le Sénégalais Moustapha Kamal Gueye, coordonnateur du programme des « emplois verts » de l’agence onusienne. Les exemples abondent déjà.
Le Sénégal suit également cette voie. Mi-2016, Dakar a décidé d’injecter 3 milliards de francs CFA (environ 4,5 millions d’euros) pour soutenir la création de microentreprises vertes telles que des micro-unités de dessalement de l’eau de mer ou des bacs réfrigérés transportables par tricycle pour la revente des poissons sur les marchés. Le Sénégal espère ainsi créer 10 000 emplois (dont 4 000 directs et 6 000 indirects) d’ici à 2020, et 30 000 d’ici à 2035.
Les énergies renouvelables, un secteur prometteur
Si le Kenya, l’Éthiopie et la Tanzanie sont pionniers sur ce créneau, les entreprises d’Afrique francophone s’y mettent à leur tour, comme la société sénégalaise Nadji Bi, active à Mbour depuis 2014. Si elle ne compte que 20 salariés, la distribution de ses produits solaires dans une dizaine de pays ouest-africains, via des commerçants, des groupements de femmes ou des sociétés de microcrédit, générerait plusieurs milliers d’emplois, mais le chiffre exact est difficile à estimer.
Jobs à la tâche : un eldorado controversé
Des particuliers équipés d’un ordinateur et payés à faire du traitement de texte, de la modération sur les réseaux sociaux ou du classement de factures pour le compte d’entreprises : c’est le principe de la gig economy (économie de la prestation) nouvelle forme d’offshoring par internet payé à la tâche.
Le modèle d’Isahit est proche de celui d’Amazon Mechanical Turk, plateforme de microtravail du géant de l’e-commerce. Sauf que les niveaux de rémunération des 500 000 turkers d’Amazon sont vivement critiqués, avec parfois quelques cents de dollar seulement par tâche. « Amazon, c’est de l’esclavage ! » tance Isabelle Mashola, la cofondatrice d’Isahit, qui met en avant sa politique de rémunération. Son site paye 20 dollars (18 euros) par jour pour sept heures de travail, et entend recruter 10 000 personnes à Dakar, Abidjan, Ouagadougou, Pointe-Noire et Yaoundé.
Grande distribution : pléthore d’opportunités
Doucement mais sûrement, les supermarchés font leur trou. Ils sont déjà 37 en Afrique de l’Ouest, un nombre en hausse de 20 % en dix-huit mois, selon Sagaci Research, un cabinet de recherche économique spécialisé dans la grande distribution en Afrique. Carrefour, Casino, Shoprite, Nakumatt, Prosuma… Chaque ouverture donne lieu à son lot d’embauches.
L’impact positif sur l’emploi devrait s’accentuer dans les prochaines années puisque CFAO, le partenaire de Carrefour pour le développement de centres commerciaux africains, entend ouvrir d’autres supermarchés au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Ghana, au Nigeria, au Sénégal, au Congo et en RD Congo.
Emplois informels : des pistes pour les transformer
Les besoins africains en infrastructures sont colossaux – 100 milliards de dollars – et le continent est loin d’avoir rattrapé son retard. La construction de routes, de ports, de centrales électriques et de stations d’eau potable nécessite des milliers de travailleurs. Mais, dans de nombreux cas, les chantiers ne trouvent pas de plombiers, de maçons, de peintres, d’électriciens ou de mécaniciens.
Pourtant, certains de ces savoir-faire courent les rues, dans le secteur informel, même si ces travailleurs n’ont pas toujours le meilleur niveau et n’ont pas de diplômes en bonne et due forme. Mais comment convertir ces employés informels au secteur formel ? « Pour eux, il faut imaginer des formes de certification et une valorisation du savoir-faire et des acquis », plaide Youssouf Maiga, un expert indépendant sur les questions d’emploi établi au Burkina.
Les formations techniques ou liées à l’artisanat sont malheureusement encore rares. Et, quand elles existent, leurs diplômés sont souvent mal accompagnés à la sortie. Dans les années 2000, la chambre de commerce de Dakar avait lancé un programme de formation et de professionnalisation, enrôlant un millier de teinturières, couturières, céréalières et électriciennes et les invitant à s’inscrire en fin de parcours au registre des métiers.
Les applications mobiles, un outil de la transition ?
Les États pourraient aussi jouer un rôle décisif dans les mines, vis-à-vis des dizaines de milliers d’orpailleurs artisanaux qui travaillent dans des conditions souvent lamentables, en conditionnant la poursuite de leur activité au respect de règles de sécurité et environnementales.
Dernière piste pour effectuer cette transition entre informel et formel : les applications mobiles. Ammin Youssouf, le fondateur d’Afrobytes, un incubateur parisien pour pépites africaines du numérique, y croit dur comme fer. Selon lui, les prestataires de services qui trouvent leurs clients via des applications d’intermédiation – telles que les plateformes d’hébergement (Airbnb, Vizeat), de taxi (Uber) ou de livraison de plats cuisinés (Deliveroo) – entreront un jour dans le circuit formel grâce à des accords avec les gouvernements africains, à l’image de ce qui se fait Europe et aux États-Unis.
Jeune Afrique
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