Le Sénégal, à l’instar des autres pays de la planète, doit se préparer au pire. Car l’après Covid-19 par une forte récession. Dans cet entretien Guy Silva Thiam, expert financier et fondateur de l’Institut africain de trading boursier (IATB) prévient que l’après pandémie sera marqué par des moins-values budgétaires de plusieurs centaines de milliards, un déficit budgétaire et des retards dans l’exécution des projets et programmes de l’Etat, notamment au plan social.
Walf Quotidien: Comment voyez-vous les perspectives post-covid 19?
Guy Silva Thiam: Sur le plan purement économique, l’après Covid-19 sera marquée par une récession forte de toute l’économie mondiale avec des déficits budgétaires extrêmement importants. Il nous faudrait plusieurs années avant de pouvoir résorber les impacts de la pandémie. Au sein de nos économies, il faudra noter des moins-values budgétaires de plusieurs centaines de milliards, un déficit budgétaire qui passera sûrement au-dessus des 5 voire 6%, des retards énormes sur l’intégralité des projets et programmes de l’Etat. Il faudra aussi s’attendre à une offensive fiscale importante par l’élargissement de l’assiette fiscale et douanière (augmentation de taux, élargissement du champ, etc.) et l’abandon ou une forte réduction des politiques sociales en cours ou prévues.
Sans compter que sur le plan social, la fermeture de plusieurs entreprises qui seront en cessation d’activités, ce qui conduira à un taux de chômage qui atteindra sans nul doute des sommets, avec son corollaire de crises sociales. Bref, nos lendemains s’annoncent très difficiles.
Que doivent faire les Etats pour se prémunir en cas de rechute?
Cette pandémie nous a montré nos vulnérabilités en termes de résilience et de capacité de réponse et diligence. Les Etats devront obligatoirement rendre opérationnelles leurs différentes cellules de veille et de riposte face aux différents chocs exogènes et endogènes. Ces cellules devront tester régulièrement leurs procédures en faisant des simulations leur permettant de mesure leur résilience. Des stress tests devront régulièrement être effectués en fonction des différents scénarios définis. On ne doit plus se permettre d’être pris au dépourvu par des crises quelle qu’en soit leur origine (sanitaire, économique, etc.). Notre gestion devra être plus proactive à l’avenir et je pense que c’est la leçon que les Etats doivent en tirer.
Quelles sont les failles révélées par cette pandémie dans les systèmes de production?
Si on reste uniquement dans nos économies fortement extraverties, cette pandémie démontre si besoin en était qu’il est temps de développer notre tissu de production alimentaire et industriel afin d’avoir plus d’autonomie et de moyen de riposte face aux chocs exogènes. Aujourd’hui, pour assurer l’aide alimentaire, on a été obligé d’utiliser des stocks de produits alimentaires importés alors que le Plan Sénégal Emergent (PSE) avait dans ses objectifs l’autosuffisance en riz et en céréales. Cette crise nous montre qu’on en est très loin. En réalité, la situation a mis à nu toutes nos carences et la situation déplorable de notre tissu de production.
Le gouvernement devra définir et mener des politiques industrielles réalistes et adaptées à nos économies et ne plus se limiter à proposer des slogans et des rêves chimériques hors de notre portée. En effet, il faut reconnaître la faillite de nos politiques agricoles, industrielles. Il nous faudra les redéfinir et les adapter.
La Chine est l’usine du monde. Le sera-t-elle après cette crise mondiale ?
La centralisation de la production mondiale dans une zone nous mettait tous en danger en cas de crise. Et c’est évident que la situation que nous vivons a démontré des failles. Plusieurs Etats sont en train de se poser des questions quant aux politiques de délocalisation à outrance vers l’Asie qui ont été menées. Cependant, il ne faut pas oublier que les entreprises obéissent à une logique de rentabilité et tant que les coûts de production seront plus compétitifs dans une zone alors l’usine mondiale sera là-bas.
Néanmoins à brèves échéances, on assistera à des retours de sites de production dans les autres pays du monde voire même le développement de nouvelles zones de production mais si la compétitivité n’est pas maintenue à long terme, alors on reviendra à la situation actuelle. C’est l’occasion pour plusieurs pays en développement de créer des conditions avantageuses d’installation d’entreprises délocalisées afin de bénéficier de la probable saignée de la Chine et de l’Asie.
Que devrait-on réformer dans le fonctionnement de l’OMC qui prône parfois une suppression à outrance des barrières commerciales ?
Je tiens à préciser que je ne suis pas un partisan de la suppression des barrières. En effet, je suis de ceux qui pensent que cette libre circulation des biens est uniquement en faveur des plus forts. Les économies faibles comme les nôtres seront transformées en zones de consommation à outrance, de souks à ciel ouvert. Dans cette situation, nous serons toujours dépendants des autres. Je considère qu’on ne peut pas mettre en compétition un bébé de 2 mois avec un jeune adulte de 25 ans dans une course de 100m et espérer voir le bébé gagner.
La suppression de barrières devra se faire au sein des zones économiques, des cercles concentriques et non au niveau mondial. D’ailleurs, même les économies fortes trichent à ce niveau en mettant de facto des barrières à l’entrée en usant des normes de fabrication, des certifications, des conditions environnementales qu’aucune économie en développement ne peut satisfaire.
En outre l’autre tricherie, ce sont les subventions aux agriculteurs et producteurs qu’octroient les pays riches à leur économie afin de les rendre plus compétitives sans compter le coût du financement quasiment nul voire négatif dans certains pays. Tant que les barrières ne seront pas équitables, tant qu’elles ne seront pas à la carte selon le niveau de développement économique, alors l’OMC continuera de travailler pour les riches et désavantagera une grande partie du monde qui sera toujours exposée aux chocs exogènes.
Cette pandémie va-t-elle remettre en cause la ZLECAF ?
Au vu de ce que nous avons dit supra, cette pandémie renforce l’idée d’une ZLECAF forte. Il est plus que urgent pour nos économies d’avoir notre propre «OMC» qui oeuvrera pour nous et permettra les échanges intra-régionaux et par conséquent le développement de nos productions et de nos économies.
Cependant, il est dommage de constater que chacune de nos nobles initiatives ont échoué pour des raisons de lenteurs et lourdeurs bureaucratiques, de conflits de personnes, d’égos mal placés. Une ZLECAF opérationnelle, forte et dynamique est plus que nécessaire à nos économies, c’est notre survie qui en dépend.
Source: Walf Quotidien