Le « come-back » de l’agriculture

Contribution

Par Issa Barro, Ph.D.

La vision de l’émergence à l’horizon 2035 du Président de la République Son Excellence Macky Sall a été traduite dans le Plan Sénégal Émergent (PSE) qui constitue le référentiel de sa politique économique et sociale. La première phase qui a été mise en œuvre avec succès, a permis d’impulser une nouvelle dynamique de croissance économique et contribué à la consolidation du cadre macroéconomique. La seconde phase qui couvrira la période 2019-2023 s’attèlera à relever plusieurs défis, notamment celui du développement d’une économie compétitive, inclusive et résiliente. Ainsi, l’axe 1 du Plan d’actions prioritaires 2 (PAP2)[1] du PSE intitulé « Transformation structurelle de l’économie et croissance », sera mis en œuvre dans le souci de traduire la volonté de son Excellence Macky Sall de rendre cette transformation structurelle plus inclusive en permettant de réduire les inégalités. Cette approche place ainsi la modernisation de l’agriculture et de la vie en milieu rural au centre du dispositif.

La modernisation de l’agriculture s’entend « restructuration de l’agriculture familiale, promotion de l’agriculture à haute valeur ajoutée (notamment l’horticulture), amélioration de la résilience des agriculteurs face aux chocs climatiques à travers le développement de technologies intelligentes et l’utilisation de variétés plus adaptées et d’itinéraires techniques plus appropriés, et promotion de sources de revenus non agricoles ». Ainsi, le rôle que l’on envisage de faire jouer à l’agriculture dépasse son rôle traditionnel de « réduction de la pauvreté » pour devenir un secteur porteur de croissance. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre la décision forte de Son Excellence Macky Sall d’augmenter le budget de l’agriculture de 20 milliards FCFA par rapport à la campagne précédente, portant ainsi le montant total à 60 milliards pour la campagne 2020-2021.

Cette ambition est amplement justifiée. En effet, notre pays, à l’image de la plupart des pays africains, dispose d’un potentiel considérable pour assurer sa sécurité́ alimentaire, mais aussi pour produire des excédents exportables sur les marchés internationaux. Nous disposons de la plupart des ressources nécessaires pour accroître notre production agricole et la productivité́ de notre agriculture, ainsi que de terres et de ressources humaines en abondance.

Il n’est peut-être pas nécessaire de revenir ici sur la pertinence d’un scénario de croissance reposant sur l’agriculture. En effet, si au cours des 30 dernières années, la nature et les origines de la croissance ont beaucoup varié d’un pays à un autre, il faut rappeler que dans plusieurs pays, le secteur de l’agriculture s’est développé rapidement, ce qui a eu un impact majeur sur la réduction de la pauvreté et le développement économique au plan national. Cependant, passer d’une agriculture de subsistance à une agriculture commerciale nécessite de tirer parti des opportunités tout en élaborant des stratégies pour relever les principaux défis.

Au sein du Ministère de l’Agriculture et de l’Équipement Rural (MAER), nous nous attelons à cela sous la direction du Ministre, le Professeur Moussa BALDE. Nous avons clairement identifié les leviers sur lesquels il est nécessaire de s’appuyer pour y parvenir :

  • Accroissement de la production : augmentation de la productivité et des superficies cultivées, modification de la composition de la production et utilisation de la technologie. La modification de la production et l’utilisation intensive de nouvelles technologies sont nécessaires pour pallier aux limites des superficies cultivables lorsque cette situation se présente;
  • Mesures incitatives appropriées aux agriculteurs et mise en place de conditions leur permettant de bénéficier de ces incitations : incitations de nature à faciliter la vente des produits agricoles aussi bien sur les marchés intérieurs que sur les marchés d’exportation, facilitation à l’accès à la terre, au financement rural, aux connaissances techniques et aux services de communications et de transports);
  • Développement des secteurs à forte productivité́ pour compléter l’agriculture traditionnelle. Ceci permettra de concentrer l’agriculture comme source de croissance, par le biais de l’agro-industrialisation, sans seulement justifier les investissements dans ce secteur par la nécessité́ de lutter contre la pauvreté́ et l’insécurité́ alimentaire. En améliorant la valeur ajoutée d’un grand nombre de nos exportations de produits agricoles, nous dégagerons une marge concurrentielle sur les marchés internationaux
  • Intensification de l’utilisation des progrès technologiques adaptés aux besoins locaux dans le cadre de la modernisation du secteur, tout en mettant l’accent sur la nécessité de durabilité et de résilience à travers la promotion d’une agriculture écologique en harmonie avec l’adaptation aux changements climatiques

 

  • Amélioration de l’attractivité de l’agriculture afin d’inciter le secteur privé local et étranger à saisir les opportunités d’investissement et de création de valeur dont il regorge
  • Amélioration du dynamisme et de la souplesse du secteur agricole afin de pouvoir l’adapter à l’environnement économique national. Au fur et à mesure que l’intensification se poursuit, notamment sur certaines cultures telles que le riz, l’accent sera mis sur des produits à plus forte intensité de main-d’œuvre dont l’élasticité par rapport aux revenus est plus élevée (comme les fruits et légumes).

Le Ministre s’est pleinement engagé à travers des interventions pertinentes dans chacun de ces domaines avec comme objectif de relever les défis qui feront de l’agriculture sénégalaise le moteur de la transformation structurelle de notre économie vers le progrès. Ainsi, les interventions du MAER sont axées principalement sur les objectifs suivants :

  • La garantie de la sécurité alimentaire pour tous les sénégalais : Du fait de la mondialisation et de la libéralisation, notre pays est plus vulnérable aux fluctuations des marchés mondiaux compte tenu de notre dépendance aux importations pour notre approvisionnement en produits alimentaires. Cette situation pourrait s’aggraver du fait d’une part de l’augmentation de la consommation intérieure et, d’autre part, du contexte du Covid 19 où les importations deviennent de plus en plus difficiles à cause du repli sur eux-mêmes de nombreux pays traditionnellement exportateurs de denrées alimentaires en direction du Sénégal. Ainsi, le Ministre s’est fixé pour objectif de sécuriser l’alimentation en agissant sur les principales denrées de consommation. L’accent est mis sur les spéculations qui constituent notre alimentation de base : augmentation de la production de riz, mil, maïs qui devra passer de 2,8 en 2019/2020 à 3,8 millions de tonnes en 2020/2021, tout en poursuivant le soutien des chaînes de valeur dans l’horticulture et les autres spéculations porteuses de valeur ajoutée. Pour cela, nous allons :
  • Accroître les surfaces emblavées dans les principales zones de production tant pour les cultures pluviales que pour les cultures irriguées
  • Privilégier l’agriculture biologique pour réduire notre dépendance aux produits phytosanitaires importés tout en améliorant la productivité
  • Soutenir les petits producteurs en concertation avec leurs organisations à la base et leurs fédérations, à travers la mise à disposition de matériel agricole et d’intrants subventionnés et la facilitation de leur accès au financement, ainsi que la mise à disposition d’outils d’accompagnement appropriés utilisant des solutions digitales et permettant la conduite d’activités agricoles dans de meilleures conditions de sécurité.

D’ores et déjà, 10 000 tonnes de semences de riz certifiées ont été mises en place (contre 7 000 la campagne précédente) ; de même, 3 000 tonnes de maïs certifiées ont été mises à la disposition des producteurs (contre 1 700 tonnes la campagne précédente) ; enfin, 150 000 tonnes d’engrais seront mises en place cette année (contre 100 000 la campagne précédente). Dans le cadre de la modernisation de l’agriculture, Son Excellence le Président de la République a octroyé 1,2 milliards pour l’acquisition de 19 moissonneuses batteuses dans les zones rizicoles du bassin de l’Anambé et de la Vallée, ce qui correspond à une augmentation de 20% du parc de moissonneuses batteuses. La lutte contre les oiseaux granivores va également s’intensifier grâce à une mise à une affectation d’un milliard FCFA.

Ces actions sont de nature à améliorer notre sécurité alimentaire dans les principales productions constituant notre base alimentaire.

  • La diversification de la production : Une dépendance excessive à l’égard d’une gamme étroite de produits expose indûment les producteurs aux aléas climatiques et aux autres fléaux tels que les insectes, etc. ainsi qu’aux fluctuations de prix. La conséquence est souvent une baisse des revenus des paysans et le système alimentaire. Il est donc important de diversifier la base de production et d’exportations et y inclure des produits à forte valeur ajoutée. Pour cela, nous allons mettre l’accent sur la mise en place des mesures à différents niveaux, notamment : le renforcement des services de recherche et de vulgarisation en vue de la mise au point de semences de qualité et de l’adoption de technologies pertinentes; l’amélioration des services en direction des producteurs ruraux; le renforcement de l’infrastructure de commercialisation (marchés locaux et à l’exportation).
  • L’accès aux marchés internationaux pour les produits agricoles d’exportation : L’objectif est d’accroître la production des produits exportables, élément indispensable à la croissance de l’agriculture et moteur de l’expansion. Ainsi, l’arachide, qui constitue la première culture industrielle au Sénégal et l’un des produits les plus exportés verra sa production passer de 1,4 million de tonnes en 2019 à 2 millions de tonnes en 2024. Si l’on tient compte des bons résultats de commercialisation obtenus durant la campagne précédente, notamment à l’export ainsi que les revenus perçus par les producteurs, cet objectif de production pourrait même être dépassé. Pour la campagne en cours, ce sont 70 000 tonnes de semences qui ont été mises en place (dont 52 000 tonnes de semences certifiées).

De même, il est prévu une forte croissance des autres produits exportables composés principalement des fruits et légumes (oignons, pommes de terre, carottes, tomates, choux, bissap, pastèques, haricots verts, bananes) qui auront des taux de progression variant entre 20 et 30% à l’horizon 2024. Enfin, nous mettons l’accent sur la promotion de la biotechnologie qui permettra également d’accroître la production, de faire baisser les prix et de donner ainsi à notre agriculture un avantage concurrentiel.

  • L’augmentation de la productivité : Pour suivre l’augmentation de la demande intérieure de produits alimentaires, améliorer la compétitivité et élever ainsi les revenus des populations rurales, il est indispensable d’améliorer la productivité de l’agriculture. Cela nécessite des investissements importants dans l’irrigation et les infrastructures rurales, la valorisation des ressources humaines grâce à l’éducation et la formation, le renforcement des services de recherche et de vulgarisation, la facilitation de l’accès aux ressources productives, la préservation de la capacité de la base de ressources naturelles et de l’environnement.
  • Les systèmes de stockage et de conservation : C’est un des maillons les plus importants de la chaine de valeur agricole compte tenu des pertes post-récolte enregistrées en cas d’insuffisance de moyens de stockage et de conservation et des conséquences négatives qu’elles entraînent pour les producteurs. Le MAER a pris des initiatives dans ce sens pour doter les principales aires de production (notamment horticoles) de systèmes adéquats permettant le stockage et la conservation des produits. Cette initiative s’appuie sur un ensemble de mesures réglementaires incitatives afin que le secteur privé national et étranger (y compris les intermédiaires financiers) y voient des opportunités d’investissement et de financement sécurisé et rentable à moyen et long termes.
  • La transformation : Si l’on veut promouvoir une expansion plus large et faire jouer pleinement à l’agriculture un rôle de moteur de la croissance et de la transformation, il est indispensable de créer une masse critique de petites et moyennes industries (PMI) ayant pour activité la transformation des produits agricoles. Ceci permet non seulement d’accroître et de conserver la valeur ajoutée produite par le secteur, mais aussi de réduire nos besoins d’importation de produits finis. Des pays comme la Malaisie ont adopté une telle approche et ont vu leur statut se transformer radicalement en l’espace de deux décennies.

Sous ce chapitre, le MAER est en train d’assurer sa part à travers l’amélioration de l’infrastructure rurale et des services ruraux. Nous comptons, avec la collaboration du Ministère de l’Industrie, démontrer l’attractivité du secteur afin que de plus en plus de PMI locales puissent saisir les opportunités ainsi créées. D’ores et déjà un mouvement significatif est en cours avec la mise en œuvre de nouveaux projets et programmes au sein du Département et la multiplication de petites unités de transformation des produits horticoles et céréaliers dans la plupart des principales aires de production.

Ancien Expert des Nations Unies (UNCDF)

Conseiller Technique n°3 du Ministre de l’Agriculture et de l’Équipement Rural du Sénégal

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