Afin de piloter la riposte face aux manifestations sévissant dans le pays depuis le 1er juin, le président sénégalais Macky Sall s’appuie sur une équipe resserrée de conseillers. Le chef du gouvernement Amadou Ba, en retrait depuis le début de la crise, en est le grand absent et cristallise les tensions.
Ces dernières semaines, la présidence sénégalaise a pris des allures de quartier général militaire. Les uniformes se succèdent sur le parvis rose de l’imposant palais blanc qui sert de résidence au chef de l’Etat Macky Sall. Alors que le pays fait face à une importante vague de contestation depuis la condamnation à deux ans de prison ferme de l’opposant Ousmane Sonko le 1er juin, le président consulte ses “sécurocrates” sur une base quasi quotidienne.
Afin d’apprécier l’évolution de la situation sécuritaire depuis le début des heurts, Macky Sall prend conseil auprès de l’influent patron de la gendarmerie, Moussa Fall, ainsi que du général Mbaye Cissé, nommé chef d’état-major général des armées (CEMGA) depuis un peu plus de deux mois. Il sollicite aussi l’avis de son aide de camp qui l’accompagne depuis près de vingt ans, l’indéboulonnable général Meïssa Cellé Ndiaye.
Rôle moteur de l’intérieur
Ces réunions discrètes ne sont pas réservées aux seuls hauts gradés de l’appareil sécuritaire sénégalais. Connu pour son soutien à une ligne dure envers les manifestants, le ministre de la défense Sidiki Kaba y est régulièrement présent. Bien qu’il ne dispose pas d’un maroquin sécuritaire, le ministre des transports et beau-frère du président, Mansour Faye, prendrait également part à ces discussions.
Il en va de même pour Antoine Félix Abdoulaye Diome, ancien magistrat en charge du portefeuille de l’intérieur depuis 2020. Particulièrement apprécié de Macky Sall après son rôle moteur en réaction aux émeutes de mars 2021, il est à nouveau en première ligne de l’offensive menée par le pouvoir afin d’enrayer le discours de contestation porté par l’opposition. On lui doit notamment le narratif selon lequel “des forces occultes” et des “hommes armés” auraient infiltré les manifestations dans le but de saboter des infrastructures vitales, diffusé dans la foulée des dégradations commises sur l’usine d’eau de Djender le 3 juin.
Le volontarisme du ministre de l’intérieur contraste avec le silence du premier ministre Amadou Ba, qui se tient largement à l’écart de cette séquence politique délicate, à quelques exceptions près. Depuis le début, il n’est pas associé aux réunions stratégiques organisées par Macky Sall. Au plus fort de la crise, le chef du gouvernement a même été pressé par l’entourage du chef de l’Etat de faire une déclaration en réaction à un communiqué publié le 31 mai par trois de ses prédécesseurs – Abdoul Mbaye, Aminata Touré et Mamadou Lamine Loum -, appelant Macky Sall à ne pas briguer de troisième mandat lors de l’élection de février 2024. En coulisses, une partie du premier cercle du président reproche à Amadou Ba de se désolidariser de l’action des autorités à des fins “opportunistes” alors que l’ancien chef de la diplomatie sénégalaise pourrait être tenté d’incarner l’aile modérée de la majorité pour 2024, en cas de non-candidature de Macky Sall.
Tandem de communicants
Sur le plan médiatique, les orientations arrêtées par le président à la suite des échanges avec sa garde rapprochée sont ensuite relayées auprès d’un duo composé d’Abdou Karim Fofana, ministre du commerce et porte-parole du gouvernement, et de Yoro Dia, coordonnateur de la communication de la présidence depuis septembre 2022. Les deux hommes ont mis au point une stratégie médiatique bien rodée afin d’utiliser au mieux les différents atouts des membres de l’exécutif.
Tandis qu’Abdou Karim Fofana se charge d’intervenir sur les plateaux des chaînes internationales francophones, les interviews auprès de médias anglo-saxons, dont la BBC, sont confiées au ministre de la culture Aliou Sow du fait de sa bonne maîtrise de la langue anglaise. Les entretiens auprès de la presse locale sont pour leur part assurés par le responsable communication de la coalition présidentielle, Pape Mahawa Diouf.
La mainmise d’Abdou Karim Fofana et de Yoro Dia sur la riposte informationnelle suscite des effets de bord dans les rangs de l’Alliance pour la République (APR), le parti présidentiel, qui se sent exclu jusqu’à présent de la gestion de la crise. Une poignée de membres de la formation, sous l’égide de l’ex-chef de cabinet du président, Mahmoud Saleh, ont proposé la mise en place de leur propre task force afin de jouer un rôle plus actif dans la bataille en cours. Leur requête est pour l’heure restée lettre morte. Si l’APR n’est associée qu’à la marge aux manœuvres en cours, c’est qu’en privé, le chef de l’Etat se montre très critique sur la situation interne du parti. Il s’agace des nombreuses divisions qu’il accuse d’avoir en partie débouché sur les revers aux élections législatives et locales de 2022 (AI du 06/05/22).
Cabinet noir
Mais en marge de ces acteurs officiels opèrent une myriade de protagonistes moins visibles. Parmi eux, on retrouve le “griot” Abdoulaye Mbaye Pekh, qui a su particulièrement se rapprocher du chef de l’Etat au cours des dernières années. Déjà influent sous la présidence d’Abdoulaye Wade (2000-2012), ce missi dominici accompagne fréquemment le chef de l’Etat lors de ses déplacements à l’étranger, et s’est récemment rendu à Paris en mai à l’occasion d’un meeting organisé par l’APR (AI du 12/05/23). Très introduit auprès de l’entourage de Mountakha Bassirou Mbacké, chef de la puissante confrérie des Mourides, il a également pris part à l’organisation de la rencontre qui a eu lieu entre le leader religieux et le chef de l’Etat dans la nuit du 5 juin.
Macky Sall s’appuie par ailleurs sur les membres de son cercle familial, au premier rang desquels figurent son épouse, Marième Faye Sall, mais aussi son fils, Amadou Sall. Proche du milieu des lutteurs professionnels, celui-ci est notamment consulté en amont de certaines décisions sécuritaires, tout particulièrement dans le maintien de l’ordre. Une tâche à laquelle est aussi associé Farba Ngom. Qualifié non sans humour de “vice-président” par ses pairs, le député-maire de la communauté rurale des Agnams s’est imposé comme l’un des rouages clés du dispositif de Macky Sall pour 2024 après sa nomination au poste de secrétaire national de la mobilisation de l’APR, en mars.
Source : Africa Intelligence