Le « Sommet » de Macron: une imposture!

Contribution Eco-Finance Politique

Par Demba Moussa Dembélé, Economiste, Dakar

La rencontre organisée par le président français et des représentants des « sociétés civiles » africaines en France, et non en Afrique, est un évènement singulier à plus d’un titre. Comment peut-on parler de « Sommet » entre un chef d’Etat et des représentants de société civile ? Monsieur Macron parle au nom de la France, de l’Etat français. Aucun des participants africains n’a qualité ou légitimité pour parler au nom de son pays. Monsieur Macron est élu pour défendre les intérêts de la France. Aucun des Africains présents ne peut prétendre être délégué pour défendre les intérêts de son pays.

Après ce « Sommet », Monsieur Macron aura-t-il désormais comme « interlocuteurs » privilégiés des représentants de la « société civile », surtout dans les anciennes colonies françaises ? Les ambassadeurs de France auront-ils la consigne de traiter désormais sur un pied d’égalité les présidents et les représentants des « sociétés civiles » ?

Un affront à l’Afrique !

Ces questions traduisent le sentiment général en Afrique que ce « Sommet » est un affront pour tout le continent. Monsieur Macron n’oserait jamais envisager ce genre de « Sommet » avec l’Amérique latine, encore moins avec l’Asie. Ce « Sommet »  illustre un manque total de respect de Monsieur Macron à l’égard des chefs d’Etat africains. Il y avait déjà des signes avant-coureurs de cet irrespect pour les autorités africaines. Ces derniers temps, on a été témoin des invectives et même des insultes contre les dirigeants de pays, comme l’Algérie ou le Mali. En 2017, Monsieur Macron avait cherché à humilier publiquement le président burkinabè devant des étudiants. En 2019, il avait « convoqué » les présidents du G5 Sahel à Pau pour leur faire la leçon. Tous ces actes avaient préparé le « Sommet » de Montpellier

Mais si l’attitude de Monsieur Macron est à fustiger et même à condamner avec le plus grand mépris, celle des représentants des « sociétés civiles » africaines et des intellectuels est encore plus condamnable. Comment ont-ils pu accepter de se prêter à ce jeu, à cette farce grotesque, devant le représentant de l’Etat français dont la seule et unique préoccupation est de chercher à sauver l’image de son pays et à défendre ses intérêts, aujourd’hui menacés par le rejet grandissant de sa présence sur le sol africain, notamment de la part de la jeunesse africaine

S’accrocher à l’Afrique coûte que coûte !

Ce que Macron cherche donc avec ce « Sommet » c’est de reconquérir le cœur de la jeunesse africaine afin de préserver les intérêts de la France en Afrique dont la perte serait catastrophique pour elle, non seulement sur le plan économique mais surtout sur le plan géopolitique. Comme on le sait, c’est le contrôle des anciennes colonies qui confère à la France son statut de « grande puissance ». Sans cette influence, elle aurait un rang inférieur à celui de la Grande Bretagne et à celui de l’Allemagne, leader de l’Union européenne !

Le contrôle des anciennes colonies est d’autant plus crucial que lors de la première conférence des ambassadeurs de France sous sa présidence, en 2017, Monsieur Macron disait ceci : « Une bonne partie de l’avenir du monde se joue en Afrique ». Et déjà en 2013, le Sénat français avait publié un rapport disant que l’Afrique était « l’avenir » de la France! Donc, celle-ci doit tout faire pour préserver son influence non seulement sur ses anciennes colonies mais même l’étendre à d’autres pays. C’est dans cette optique qu’au mois de mai 2021, Monsieur Macron avait convié plusieurs chefs d’Etat africains à Paris pour parler de la « relance des économies africaines » ! Les promesses qui y avaient faites, à grand renfort de publicité, tardent à se concrétiser. En réalité, c’est la France qui a désespérément besoin de l’Afrique pour compter dans l’échiquier mondial. D’autant plus que même dans le camp occidental, elle est en perte de vitesse, comme le montre l’annulation par l’Australie du contrat sur les sous-marins français.      

Une jeunesse instrumentalisée

La jeunesse africaine étant en première ligne dans la lutte contre la présence française, il faut chercher à l’amadouer. On a vu certains jeunes, triés sur le volet, se défouler face à Macron. Certains même se donnant le plaisir de fustiger les « dictateurs africains » à la grande joie de Macron et des médias français et africains aux ordres. Ces jeunes, dont la plupart sont sans doute sincères, croient naïvement que leurs points de vue pourraient exercer une certaine influence sur la politique de la France vis-à-vis de l’Afrique. Mais ils ne savent pas qu’ils sont utilisés pour servir les objectifs d’une grande stratégie bien pensée. En vérité ce que Monsieur Macron et ses stratèges cherchent c’est d’encourager l’émergence d’une nouvelle génération d’Africains « francophiles » qui internalisent l’idéologie de la domination française.

Mais la jeunesse africaine consciente ne se laissera pas prendre au piège. Elle sera plutôt galvanisée par ce « show télévisé », cette grosse farce politique, pour amplifier le combat contre le colonialisme français et ses laquais, politiques et intellectuels.

Achille Mbembe et compères : au service du néocolonialisme « rénové »! 

Achille Mbembe et les intellectuels qu’il a réunis autour de lui ne sont certainement pas dupes des calculs politiques de Monsieur Macron en organisant ce « Sommet ». Mais pourquoi ont-ils accepté d’y participer?  Croient-ils pouvoir contribuer à jeter les bases de «la refondation » des relations entre l’Afrique et la France ? Grande illusion ! Une vraie refondation dans le sens du respect de l’indépendance et de la souveraineté de l’Afrique n’est pas et ne sera jamais à l’ordre du jour de la politique française. Un exemple est fourni par le projet de monnaie unique de la CEDEAO que la France cherche à torpiller coûte que coûte pour ne pas perdre son emprise sur les pays qui utilisent le franc CFA.

Mbembe et ses compères semblent avoir délibérément choisi leur camp pour accompagner Macron qui cherche à donner un nouveau souffle au néocolonialisme français. En se rendant complices d’une telle politique, ils risquent fort d’être sévèrement jugés par l’histoire, qui ne manquera pas de les comparer à leurs illustres devanciers, comme Aimé Césaire, Frantz Fanon, Cheikh Anta Diop, Samir Amin, Mehdi Ben Barka, entre autres, qui avaient pu déjouer les pièges tendus par la France coloniale et postcoloniale pour porter le combat de l’émancipation intellectuelle, politique et économique de l’Afrique et de sa diaspora.

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