«Un grand débat s’est installé dans notre pays autour de la situation de ses finances publiques. Il est normal qu’il ait lieu. Mais il aurait dû porter sur un rapport faisant le point de leur situation plutôt que sur l’appréciation de faits constatés et traduisant une souffrance de la trésorerie de l’Etat, et partant, des entreprises et des services de l’administration.
Les mesures d’ajustement structurel déjà mises en œuvre ou projetées sous forme de resserrement des dépenses publiques après au moins cinq années de gaspillages et de gabegie auraient dû pouvoir être appréciées en fonction de leur impact réel sur le retour à un déficit mieux contrôlé en rapport avec l’effort réclamé en contrepartie aux populations. Ces dernières sont en effet déjà touchées de plein fouet par le marasme de la situation économique devenu impossible à masquer par des chants longtemps consacrés à l’émergence du Sénégal. Elles le sont aussi par un retard de pluviométrie qui prolonge la période de soudure dans les campagnes.
Nous avions annoncé ce retour à la réalité comme inéluctable, cet ajustement structurel comme inévitable. Les fausses statistiques de croissance n’ont jamais fait une émergence. Une stratégie de développement économique reposant sur de grands travaux d’infrastructures n’a jamais créé une croissance durable. L’infrastructure est tout au plus support de croissance lorsque bien prévue et bien réfléchie : ce n’est pas le cas du Sénégal où elle a pour objectif le spectacle pour la réélection, l’octroi de marchés à des entreprises étrangères, et pour conséquence le surendettement et l’absence de retour sur investissement.
On le voit donc : tout est question de choix fondamentaux, de vision et de définition d’une bonne et juste politique de la Nation. Tout relève au Sénégal du Président de la République qui « détermine la politique de la Nation » (Constitution art. 42). Il semble avoir pris conscience de son échec au terme d’un mandat annoncé de cinq ans puis prolongé de deux années. L’échec ne se limite pas à la situation économique. Il concerne aussi le grand recul démocratique imposé au Sénégal. C’est peut-être pour y remédier (à moins qu’il ne s’agisse d’une nouvelle ruse) qu’il a appelé au fameux « Dialogue national ».
Un dialogue national se donnant pour objet l’intérêt de la Nation n’a pas besoin d’’être enfermé dans des salles de conférence avec quelques participants sélectionnés, supposés représentés la Nation. Un dialogue national doit être permanent. Dans une vraie démocratie représentative, il doit avoir lieu au sein de l’Assemblée nationale. Il doit être présent dans les médias, les universités, en tous lieux de débats publics, il doit pouvoir prendre la forme de manifestations pacifiques de rue avec messages sur pancartes. La sincérité de ceux qui le souhaitent doit apparaître sous la forme de mesures prises pour lui donner vie en ces différents endroits. Nous ne sommes malheureusement pas spectateurs de telles attitudes qui ne peuvent reposer que sur une réelle intelligence politique.
Bien au contraire, tout est fait pour empêcher ou escamoter le débat à l’Assemblée nationale, pour contrôler la presse notamment publique, pour interdire ou gêner les marches et manifestations pacifiques, pour faire taire les opposants et lanceurs d’alerte par débauchage et emprisonnement, ou les décourager par construction de leur inéligibilité.
Pourtant un vrai dialogue peut devenir fécond grâce à la bonne proposition ou à la correction d’une mauvaise option venue d’une voix contraire, fut-elle celle d’un opposant 7politique guidée par l’intérêt national. La démocratie sénégalaise doit réussir à faire ce saut qualitatif. Elle doit accepter que l’opposition n’est pas le diable mais plutôt une garantie de pluralisme démocratique. Dans une démocratie avancée, l’opposition est un contrepoids, un observatoire critique qui décourage une majorité de céder à la tentation des politiques anti-démocratiques et autoritaires. Elle lui permet aussi de s’enrichir des critiques pouvant conduire à un réexamen des politiques, pratiques et programmes gouvernementaux. Bien compris par le Chef de l’Etat, c’est aussi un outil de pilotage contre de multiples pressions et manipulations qui peuvent provenir de son propre camp. Un dialogue national sincère a par contre absolument besoin de reposer sur des faits et données justes et vrais, des statistiques et des rapports objectifs, afin de pouvoir être utile à la bonne marche de notre Nation.
Prenons tous conscience que l’avenir immédiat du Sénégal est fortement lié au désordre qui s’est installé dans la gestion de ses finances publiques en termes de vision globale, de priorités retenues et d’endettement. Mais le Dialogue ou débat national pour identifier des pistes de sortie de crise sans en créer de nouvelles à caractère social, repose sur une connaissance précise des maux. A cet égard, en ce qui concerne le Code pour la Transparence dans la gestion des Finances publiques, et en l’absence d’un Premier ministre (dont il a fait supprimer la fonction), Macky Sall a déjà plus d’un mois de retard dans la production du rapport présentant « la situation globale des finances publiques et en particulier la situation du budget de l’État et de son endettement. » (cf. article de Mamadou Abdoulaye Sow)
Le dialogue ou débat national reposera toujours et d’abord sur le respect de la Constitution et des lois sénégalaises par le Président de la République, qu’il s’agisse de la vérité au Peuple sur l’état de la Nation, de celui des droits de l’opposition, de l’accès équilibré aux médias publics, ou de l’indépendance de la justice.
Exigeons de Macky Sall le respect de son serment devant Dieu et devant la Nation sénégalaise d’«observer comme de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois. » conformément à l’article 37 de notre Constitution.
La relecture de cet article 37 rappelle d’ailleurs que Macky Sall doit remettre au Conseil Constitutionnel une déclaration de patrimoine à rendre publique. Cette déclaration devra être sincère et globale à l’inverse de ce qu’il fit à la suite de sa première élection en 2012 : il avait curieusement omis de déclarer ses comptes bancaires. C’est un autre des récents grands débats, venu de l’OFNAC qui soulignait ses difficultés à faire respecter la loi portant déclaration de patrimoine. Mais comment peut-on attendre de citoyens assujettis à une loi ordinaire qu’ils la respectent, lorsque le Président de la République ne respecte pas la Constitution pour la même obligation.
Macky Sall doit effectuer sa mue. Il est temps pour notre Peuple d’être dirigé par un homme respectueux de la loi à défaut de l’être de ses engagements politiques. La qualité du dialogue démocratique paisible et permanent en dépend très largement. »