Mamadou Djigo, directeur général de l’ANAT: «L’État a l’obligation de revoir l’organisation spatiale et la gouvernance de Dakar»

Eco-Finance

Dakar est une métropole internationale dont l’organisation spatiale incombe à l’État du Sénégal. C’est le sentiment du Directeur général de l’Agence nationale de l’aménagement du territoire (Anat), Mamadou Djigo, qui préconise de revoir le mode de gouvernance pour effacer «cette ségrégation spatiale insupportable» notée dans ce continuum urbain. Il est revenu, dans cet entretien, sur le Plan national de développement et de l’aménagement du territoire (Pndat) adopté le 24 janvier dernier.

Le 24 janvier dernier, le Chef de l’État a validé le Plan national d’aménagement et de développement territorial (Pnadt), qu’est-ce que cela signifie selon vous ?

Cela signifie que le Sénégal dispose aujourd’hui d’un outil de planification spatiale. L’objectif du Pnadt est de développer le Sénégal à partir de ses territoires par une bonne structuration de l’espace et une valorisation durable de nos ressources territoriales.

Est-ce qu’après le Conseil présidentiel, vous avez tenu compte des instructions du Président ?

Ce plan est né de la volonté du Président de la République. C’est lui-même, en 2012, lors du Conseil présidentiel sur les inondations, qui avait instruit le Gouvernement d’élaborer un nouveau Plan national d’aménagement du territoire qui intègre le développement territorial. Au cours de ses tournées à l’intérieur du pays, il avait constaté beaucoup de dysfonctionnements dans l’organisation spatiale. Notamment des déséquilibres territoriaux importants, d’une part, entre Dakar et les autres régions et, d’autre part, entre la partie ouest et l’est du pays, ensuite un enclavement marqué de certaines parties du pays, une faible valorisation des ressources territoriales, une occupation des zones à risque (inondations, technologiques…), des systèmes productifs locaux très traditionnels et enfin un exode rural important.

Comment avez-vous élaboré ce plan ?

Nous avons impliqué plusieurs instances et catégories d’acteurs dans le pilotage et l’exécution du projet. Les équipes de l’Anat, les structures de l’État, l’Administration territoriale, les élus, trois bureaux d’études, des universitaires et des experts internationaux ont été mobilisés. Le Pnadt est le résultat d’une combinaison systémique des intelligences du pays.

Est-ce que vous pouvez revenir sur les propositions émises par le Président ?

Le Président de la République dispose de beaucoup plus d’informations que nous. Il a attiré notre attention sur la non-sélection de Kédougou et de Matam. Ce qui pourrait faire persister le déséquilibre. Et tenant compte de ses remarques pertinentes, nous avons intégré Matam et Kédougou dans les métropoles d’équilibre.

Pouvez-vous revenir sur les propositions que vous avez faites au Gouvernement dans le Pnadt ?

Le Pnadt est bâti autour de cinq axes d’intervention que sont l’environnement et les ressources naturelles, la démographie, les dynamiques spatiales, le système productif et la gouvernance territoriale.

Le schéma de structure proposé comprend l’ensemble des éléments structurants permettant d’assurer une bonne occupation du territoire et une valorisation des ressources.

Ainsi, pour promouvoir une armature urbaine équilibrée et un accès équitable aux services sociaux de base, il a été proposé une hiérarchisation fonctionnelle des établissements humains comprenant cinq niveaux.

Le premier niveau est constitué de Dakar qui est une métropole internationale qui va rivaliser avec les grandes métropoles africaines et mondiales.

Le second niveau est représenté par les métropoles d’équilibre qui doivent contrebalancer le poids de Dakar et promouvoir l’émergence de pôles de développement à l’intérieur du pays. Elles sont au nombre de 10 (Thiès, Mbour, Touba-Mbacké, Kaolack, Ziguinchor, Kolda, Tambacounda, Kédougou, Matam et Saint-Louis). Les autres niveaux, constitués des métropoles régionales, des villes secondaires et centres relais, permettront d’assurer une bonne polarisation de l’ensemble du territoire national. Chaque niveau de la hiérarchie est assigné à un rôle et est doté d’une grille d’infrastructures et d’équipements.

Pour l’occupation du sol, le territoire est divisé en 14 grandes zones d’affectation définies en fonction de l’aptitude des terres, de la disponibilité de l’eau, du couvert végétal, des potentialités minières mais aussi de la sensibilité écologique. Pour chaque grande affectation, les filières à fort potentiel de développement ont été identifiées.

La carte des grandes affectations du territoire constitue un outil de base, d’aide à la décision pour la territorialisation des politiques publiques. En effet, elle permet, d’une part, d’orienter les choix de localisation des projets structurants initiés par l’État et les acteurs économiques et, d’autre part, de faciliter l’élaboration des politiques de contractualisation entre l’État et les collectivités territoriales ou leur regroupement.

La valorisation des ressources territoriales sera impulsée à la base à travers les centres secondaires stratégiques définis comme étant les établissements humains susceptibles d’être dotés d’une fonction stratégique grâce à la valorisation d’une ressource spécifique.

Cette approche s’inspire notamment des exemples de la Compagnie sucrière sénégalaise et de la station balnéaire de Saly qui ont permis d’impulser le développement des localités de Richard-Toll et de Mbour avec des taux de croissance démographiques supérieurs à 6% entre 1976 et 1988.

Ainsi, en se basant sur les ressources et potentialités des territoires, près de dix catégories de centres secondaires stratégiques ont été identifiés sur toute l’étendue du territoire. Les centres agro-industriels sont orientés vers la transformation des produits agricoles, forestiers et des productions animales. Les centres industriels visent l’exploitation et la transformation des ressources minières, gazière et pétrolières. Il y a aussi les potentialités touristiques des territoires valorisées à travers différents types de centres touristiques. Les centres d’excellence artisanaux permettront de structurer et de moderniser l’artisanat dans les localités dotées d’un savoir-faire reconnu en la matière. Les autres centres secondaires stratégiques sont essentiellement constitués de pôles de services et de commerce permettant de fournir des services spécifiques d’appui à la production à leur hinterland.

Presque 250 actions couvrant les cinq axes d’intervention ont été proposées.

Dans un contexte où le Sénégal a découvert d’importants gisements de pétrole et de gaz, avez-vous tenu compte de cette donne ?

Nous avons tenu compte des nouvelles découvertes. C’est d’ailleurs ce qui a retardé un peu le plan parce qu’il a été entamé en 2012 avec les premières consultations à travers les Comités régionaux de développement (Crd). Mais le plan a été officiellement lancé en 2014. À cette période, il n’y avait pas encore de découvertes importantes de pétrole et de gaz. C’est en cours d’élaboration de ce plan que ces découvertes ont eu lieu ; il nous fallait nous réadapter et cela a permis au plan d’être beaucoup plus ambitieux.

Nous avons automatiquement compris que, dans la perspective de l’exploitation du pétrole et du gaz, notre stratégie d’aménagement énergétique du territoire doit être repensée notamment avec une logique de déconcentration industrielle. C’est pourquoi il est proposé, d’une part, de mettre en place deux plateformes pétrolières et gazières le long de nos côtes pour développer les chaînes de valeur pétrole-gaz et faire émerger de nouvelles villes. D’autre part, la mise en place d’un gazoduc et d’un oléoduc permettrait d’alimenter en énergie les grands centres urbains, la zone minière de Kédougou et certains pays de la sous-région, comme prévu par le Schéma de développement de l’espace régional élaboré par l’Uemoa.

Est-ce que le plan a aussi permis de corriger les incohérences territoriales ?

Ce plan est venu répondre aux problématiques auxquelles notre pays est confronté. Nous avons beaucoup de problèmes dans les limites territoriales, mais cela est dû au fait qu’il y avait beaucoup de découpages qui n’obéissaient pas à des logiques d’organisation spatiale, économique, environnementale, etc. Mais c’était plutôt une logique purement politicienne qui avait guidé ces découpages. Heureusement que quand il est arrivé au pouvoir, le Président Macky Sall n’a pas eu à découper ou redécouper des territoires. Il a été plutôt dans une logique de développer le pays en des territoires viables et porteurs de développement. C’est la raison pour laquelle, dans ce plan, il a été demandé de corriger les incohérences. D’ailleurs une stratégie de correction des incohérences a été mise sur pied entre le Ministère de l’Intérieur et celui des Collectivités territoriales, du Développement et de l’Aménagement des territoires. L’Anat et la Dagat (Direction des affaires générales et de l’administration territoriale) ont mis en place cette stratégie et des propositions seront faites pour régler de façon définitive cette problématique.

L’État va donc revenir sur le découpage ?

Les incohérences ne se situent pas uniquement dans les limites territoriales. Il y a d’autres types d’incohérences. Dans ce plan, nous avons proposé la métropolisation. Dakar est aujourd’hui un continuum urbain qui part du Plateau jusqu’à Diamniadio avec une ségrégation spatiale insupportable. Le Cbd (Centre business district) est en train de se déplacer au pôle urbain de Diamniadio. Le mode de gouvernance de la ville de Dakar est aujourd’hui obsolète. Et pour bien gérer une grande métropole internationale comme Dakar, on ne peut pas donner 60 milliards à une petite portion de ce continuum urbain et laisser en rade d’autres. Il faut harmoniser la gestion. Quand on gère les déchets par exemple, on doit le faire en pensant à toute l’agglomération dakaroise ; quand on gère les questions d’emploi, on le fait de façon systématique. Cela est aussi valable pour les transports, surtout avec le Train express régional (Ter) qui traverse plusieurs départements. Ce qui fait que le mode de gouvernance est appelé à être changé. On est obligé de faire une gestion intelligente et coordonnée de tout cela.

Vous suggérez donc une reprise en main de la gouvernance de Dakar par l’État ?

Dakar est appelé aujourd’hui à être une capitale pétrolière, gazière et internationale qui est en compétition de façon permanente avec de grandes capitale telles que Abidjan, Rabat, etc. Si on veut développer le pays, l’État doit prendre en compte cet aspect d’autant plus que Dakar est une ville très attractive qui dispose de fonctions urbaines très rares. Et de ce point de vue, l’État a l’obligation de revoir l’organisation spatiale et la gouvernance de la capitale.

Source : Le Soleil

 

 

 

 

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