Allié du président de la République, Me Ousmane Sèye n’en assène pas moins ses vérités sur la gouvernance au Sénégal. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, le coordonnateur de la Coalition pour l’émergence (CPE) aborde également d’autres points saillants de l’actualité.
Des alliés de la première heure du chef de l’Etat fustigent le fonctionnement de «Benno Bokk Yakaar» en dénonçant une certaine léthargie. Qu’est-ce que vous en dites ?
Il est vrai qu’il y a une coalition de partis qui ont aidé le Président à être élu au deuxième tour. Et il y a eu le slogan gagner ensemble et gouverner ensemble. Mais, je crois que ce qui devait être fait, c’est gagner ensemble et gouverner ensemble sur la base d’un programme commun». Ce programme n’a jamais été fait. «Benno Bokk Yakaar» n’a jamais travaillé sur la base d’un programme. Le PSE, c’est le programme du président de la République. Normalement, la coalition «Benno Bokk Yakaar» devait partager ce programme-là et même créer un ensemble homogène sur le plan politique pour avoir une même vision politique et un même plan d’actions pour agir sur le plan économique et social au Sénégal.
Ce que je veux dire en clair, c’est qu’on a une coalition électorale qui n’est pas une coalition politique. Et c’est ça tout le problème. La gouvernance du Sénégal doit reposer sur la compétence et sur l’engagement politique. Mais non pas à l’appartenance à un parti ou à une coalition. Il y a beaucoup de ressources humaines compétentes qui peuvent aider à faire avancer notre pays sur tous les plans. Mais, c’est le Président qui nomme qui il veut.
C’est sa prérogative. Mais, au plan politique, il devait y avoir un programme commun, partagé par tous les membres de la coalition «Benno Bokk Yakaar», et que tous les membres s’engagent, sur le plan politique, à appliquer le programme initié par le Président et que tous ses membres soient associés à la gouvernance de ce pays. Et je ne crois pas que ce soit le cas actuellement. Donc, il faut revoir la composition et le fonctionnement de «Benno Bokk Yakaar» pour qu’il soit vraiment une coalition politique partageant la vision du président de la République et agissant pour l’exécution de cette vision politique en cours.
En ce qui concerne le dialogue politique, les concertations semblent mal parties…
Je crois qu’on n’a pas encore commencé le dialogue. Ce que le ministre de l’Intérieur a convoqué, c’est une concertation entre les partis politiques pour évaluer les élections législatives passées et en tirer les conséquences, pour que les dysfonctionnements constatés, lors de ces élections, ne puissent pas avoir lieu, lors des échéances électorales à venir.
Mais, en ce qui concerne le dialogue, je crois qu’il ne doit pas seulement être politique. Il doit d’abord être économique et social. Et cela se passe tous les jours au niveau des instances comme l’Assemblée nationale, le Conseil économique, social et environnemental, le Haut Conseil des collectivités territoriales. Maintenant, le Sénégal n’est pas en crise pour qu’on initie une concertation nationale ou un dialogue politique national.
Si le président de la République estime qu’il y a des thèmes sur lesquels il aimerait avoir des consensus du peuple sénégalais, notamment sur l’éducation nationale, le transport, le civisme, les relations entre le pouvoir et l’opposition, le statut du chef de l’opposition. Ce ne sont pas seulement les partis politiques qui sont intéressés.
Il faut convoquer tous les acteurs qui sont intéressés. Il n’appartient pas à l’opposition de définir le programme du président de la République. La Constitution dit que c’est le Président qui est élu. Et le Président ne s’est pas élu lui-même. C’est la majorité des électeurs sénégalais qui l’a élu. Donc, il a le droit d’initier sa politique et de la faire exécuter, jusqu’au terme de son mandat. On ne peut pas passer notre temps à dialoguer. Le Président qui est élu doit gouverner, l’opposition doit s’opposer. Et le moment venu, le peuple souverain tranchera.
Que vous inspirent les accusations de l’opposition, selon lesquelles, la procédure de levée de l’immunité parlementaire de Khalifa Sall a été illégale ?
La procédure de levée de l’immunité parlementaire au Sénégal est régie par l’article 52 de la loi organique sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale. Cet article n’a jamais dit que le député en question devait être entendu libre, s’il était dans les liens de la prévention. J’ai entendu beaucoup de personnes dire qu’en ce qui concerne le cas de Khalifa Sall, il devait être libre pour être entendu par la Commission Ad hoc. Cela est faux.
Voilà ce que dit exactement l’article 52 : «La Commission doit entendre le député intéressé, lequel peut choisir comme défenseur, un de ses collègues». L’article n’a pas dit que la Commission doit entendre le député libre. S’il se trouve que le député était déjà dans les liens de la prévention, comme c’est le cas de Khalifa Sall, la Commission Ad hoc l’entend tel quel. Il y a une confusion entre la procédure parlementaire qui est régie par l’article 52 et la procédure judiciaire. Si on se réfère à la procédure judiciaire, tous les jours, le juge entend en instruction comme devant le tribunal des personnes qui sont dans les liens de la prévention.
Est-ce que cela veut dire que ces personnes qui sont sous mandat de dépôt, qui sont jugés, ne se défendent pas ou ne soient pas défendus ? C’est faux. Il n’est pas dit qu’une personne sous mandat de dépôt ne peut pas se défendre. Il faut qu’on donne des informations vraies, fondées sur les textes. La levée de l’immunité parlementaire n’a rien à voir avec la liberté. Seul le juge a la possibilité de libérer la personne ou l’Assemblée nationale, si elle l’estime nécessaire.
A vous entendre parler, les avocats de Khalifa Ababacar Sall ont tout faux ?
La Commission Ad hoc a adressé une convocation à Khalifa Sall. D’après les informations que j’ai, c’est Khalifa Sall qui n’a pas voulu prendre la convocation, qui n’a pas voulu être entendu par la Commission. Et effectivement, il y a un agent assermenté qui a constaté tout ça et qui a dressé un procès-verbal de carence. Si le député incriminé ne veut pas être entendu, personne ne peut le contraindre à être entendu.
Il n’y a rien d’irrégulier dans la procédure. Vous savez, la levée de l’immunité parlementaire est une procédure tellement simple, qu’en France, ce n’est même pas l’Assemblée nationale qui lève l’immunité parlementaire du député incriminé, mais c’est le bureau qui se réunit et qui, en quelques heures, lève l’immunité parlementaire du député incriminé. Ça permet seulement au juge de continuer sa procédure en information ou en jugement. Lever l’immunité parlementaire ne veut pas dire remettre en liberté la personne mise sous mandat de dépôt. Il faut faire des contestations sérieuses ou cautionner l’intégralité du montant pour lequel on est poursuivi.
Les conseils du maire de Dakar ont décidé de saisir des juridictions internationales, soulignant ne plus croire aux institutions de la République. Quel commentaire en faites-vous ?
Ils en ont le droit. Mais, cela n’enlève en rien la compétence des juridictions sénégalaises de continuer leur travail et de rendre leur décision qui ne peut pas souffrir de la saisine d’une autre instance internationale. En matière pénale, les Etats sont souverains. La souveraineté des Etats se manifeste d’abord par la compétence de leurs juridictions. Maintenant, n’importe quel citoyen peut saisir les juridictions internationales compétentes pour faire des contestations. Mais, leur saisine ne peut pas faire obstacle à la poursuite de la procédure initiée ici, au Sénégal.
Mais, Barthélemy Dias a déclaré qu’ils ont saisi les Américains pour qu’ils viennent siffler la fin de la récréation…
Le Sénégal est un Etat souverain comme les Etats-Unis. Aucun Etat ne peut venir s’immiscer dans les affaires intérieures du Sénégal. Ce sont les Sénégalais qui ne doivent pas accepter cela. Bien qu’il soit un Etat puissant, les Etats-Unis ont la même souveraineté que le Sénégal. Ce serait admettre que les Sénégalais puissent intervenir aux Etats-Unis, à travers le fonctionnement de leur justice. Ce qui n’est pas possible. Les Etats-Unis ne peuvent en aucun cas entraver le fonctionnement de la justice au Sénégal. Cela doit être clair et net.
Les partisans du maire de Dakar persistent qu’il s’agit d’un règlement de comptes dans l’affaire de la Caisse d’avance. Avez-vous cette impression ?
Moi, je crois que, quand quelqu’un est poursuivi par la justice, son rôle est d’aller se défendre devant la justice. C’est tout. La personne poursuivie doit se présenter devant un juge et démontrer son innocence. Il appartient au Procureur d’amener ses preuves de la culpabilité et il appartient à la personne poursuivie et à ses avocats de démontrer la preuve de leur innocence. Voilà le véritable débat de fond.
Source ; Vox Pop