Nouvelle réforme territoriale : Supprimer le Département et renforcer les communes puis créer une structure intercommunale dans chaque pôle économique

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Par Babacar Ndiogou

 Près de douze ans après l’adoption et la mise en œuvre de l’Acte III de la décentralisation, force est de constater que le bilan demeure peu reluisant. Face à ce constat, il apparaît nécessaire d’évaluer son impact et d’engager de nouvelles réformes, en vue d’y apporter des améliorations significatives et de renforcer son efficacité, pour une meilleure territorialisation des politiques publiques. Dans la dynamique du Jub-Jubal-Jubenti, nous proposons un Jubenti territorial qui implique la suppression des départements en tant que collectivité territoriale et l’instauration d’une structure intercommunale dans chaque futur pôle économique préconisé dans l’Agenda 2050.

La loi n° 2013-10 portant Code général des Collectivités Territoriales (CT), marquant l’Acte III de la décentralisation, votée en décembre 2013, a instauré la communalisation intégrale. Elle a érigé le département en collectivité territoriale avec des compétences transférées, touten supprimant la région. Ainsi, le conseil régional est remplacé par le conseil départemental dirigé par un président. De plus, les communautés rurales ont été transformées en communes.

Portée par le précédent régime, cette réforme visait à accroître la responsabilité des communes et à promouvoir le développement économique, éducatif, social, sanitaire etculturel. Elle a entraîné une profonde restructuration de l’architecture territoriale etadministrative du pays, donnant ainsi naissance à de nouvelles CT. Toutefois, elle présentede nombreuses insuffisances et peine à produire les effets escomptés.

Depuis 1972, toutes les réformes liées aux politiques de décentralisation n’ont, jusqu’àprésent, véritablement contribué à renforcer les CT pour qu’elles puissent faire face aux problématiques locales et aux enjeux de développement. Le Sénégal s’est largement inspiré de la loi française sur les collectivités territoriales, également désignée comme Acte III de la décentralisation. Cependant, moins peuplé et presque trois fois inférieur au territoire français, le Sénégal n’est pas tenu d’adopter une configuration administrative et territoriale identique. Dès lors, il apparaît nécessaire de repenser la pertinence des différents échelons territoriaux et leur capacité à répondre efficacement aux besoins des citoyens.

En effet, la communalisation intégrale et la départementalisation n’ont pas permis de réduire les inégalités territoriales, économiques et infrastructurelles, notamment entre les zones urbaines et rurales. Pire encore, elles ont parfois engendré des incohérences territoriales dans la délimitation et la configuration de certaines communes. Malgré quelques progrès en matière de fiscalité locale, les CT continuent de faire face à des difficultés majeures, tant sur le plan du financement que dans l’exercice effectif de l’ensemble de leurs domaines de compétences.

La création d’un conseil élu au sein de la structure territoriale, siégeant au conseil départemental, n’a pas contribué à améliorer l’efficacité de l’action publique territoriale au bénéfice des populations. De ce fait, une remise en question de ce niveau de gouvernance s’avère indispensable. Son fonctionnement actuel, dans le contexte du Sénégal, ne semble pas apporter de valeur ajoutée significative et son existence apparaît même superflue et pratiquement insignifiante. Bien que les compétences transférées aux conseils départementaux couvrent l’ensemble d’un périmètre départemental, un bon nombre d’entre eux ne sont que des coquilles vides, faute de ressources financières suffisantes.

En effet, dépendant presque exclusivement des transferts de l’État, les départements ne disposent quasiment pas de ressources propres pour réaliser de sérieux projets structurants. Dans de nombreux conseils départementaux, les commissions mises en place sont souvent plongées dans une léthargie, incapables de remplir efficacement leur mission, principalement à cause d’une indigence de moyens. Cette carence engendre une passivité institutionnelle et une incapacité manifeste à répondre aux problématiques locales relevant de leurs compétences. Il arrive même que la population oublie l’existence du conseil départemental, attribuant systématiquement à la mairie la responsabilité de l’ensemble des problèmes locaux. Cette confusion révèle non seulement un déficit de visibilité, mais aussi une faible légitimité, voire une utilité perçue quasi nulle de cette institution intermédiaire.

En outre, sur le plan financier, un déséquilibre évident persiste entre le département et les communes qu’il regroupe. L’exemple du conseil départemental de Kaolack, qui peine à mobiliser un budget de 900 millions de francs CFA, est éloquent lorsqu’on le compare au budget prévisionnel de la seule mairie de Kaolack, qui s’élève à 8,83 milliards de francs CFA pour l’exercice 2025. Aucun impératif n’exige un échelon intermédiaire entre l’exécutif central et l’exécutif communal pour garantir une territorialisation efficace des politiques publiques ou assurer une réelle proximité entre les élus et les populations. La commune constitue d’ailleurs l’échelon administratif le plus directement lié aux citoyens.

De plus, les structures communales actuelles maillent l’intégralité du territoire national, assurant une couverture complète sans exclusion. Dans ces conditions, il conviendrait non pas de chercher à procurer des ressources supplémentaires aux départements, comme certains le préconisent, mais de procéder purement et simplement à leur suppression en tant que collectivité territoriale. Il faudra par conséquent transférer les compétences et les ressources du département vers les communes qui le composent. Une redistribution des compétences, du personnel, ainsi que des ressources financières et matérielles devra être conduite de manière inclusive, progressive et rigoureusement planifiée au profit des communes. La disparition du département n’entraînera aucune conséquence négative, ni sur la cohésion territoriale, ni sur le processus de décentralisation. Au contraire, elle permettra de clarifier les responsabilités et de réduire la confusion relative au partage des compétences entre les différents niveaux de gouvernance, tout en éliminant les redondances et doublons administratifs.

Des économies pourraient même être générées. Toutefois, il demeure pertinent de maintenir les circonscriptions administratives actuelles -région, département et arrondissement – mais uniquement en tant qu’entités administratives sous l’autorité des représentants de l’État, à savoir le gouverneur, le préfet et le sous-préfet. Ceux-ci auront pour mission d’évaluer, de suivre et de mettre en œuvre les programmes gouvernementaux en coordination avec les services déconcentrés de l’État et en étroite collaboration avec les communes.

Par ailleurs, une réorganisation de l’architecture territoriale et communale s’avérera nécessaire, impliquant, si besoin, la suppression ou la fusion de certaines communes, voire la création de nouvelles. Étant donné que de nombreuses communes manquent de viabilité économique et de compétitivité, ce qui se traduit par une faible performance financière, les rendant incapables d’assumer pleinement leurs compétences et de porter un véritable développement durable. En dehors des dotations et des transferts de l’État, elles n’ont aucune marge de manœuvre pour engager des investissements conséquents dans leur espace territorial. Il apparaît donc pertinent de réorganiser les limites de certaines communes au regard de leur capacité économique et de procéder à des ajustements géographiques en fonction de critères de viabilité économique.

Dans le cadre de la mise en place de pôles économiques régionaux, les communes pourraient se regrouper en entités intercommunales ou en communautés de communes dans l’objectif travailler efficacement en synergie, notamment pour la mise en œuvre de politiques économiques, agricoles et industrielles cohérentes, ainsi que pour le développement de projets d’infrastructures d’envergure.

À ce titre, il conviendrait de réformer la loi n° 2013-10 portant Code général des collectivités territoriales, ainsi que le décret n°2023-4040 fixant les modalités de coopération des collectivités territoriales, afin d’offrir un cadre clair, flexible et incitatif permettant la création d’une entité ou entente intercommunale structurée au sein des pôles économiques. En définitive, l’État doit engager les réformes nécessaires avant les prochaines élections locales de 2027, afin de procéder à la dissolution et à la suppression des conseils départementaux à la fin du mandat en cours.

Président Mouvement And Ligey Kaolack (devenu Jappo Yessal)

 

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