La pratique du report des élections locales, de plus en plus courante depuis le début des années quatre-vingt, semble devenir ordinaire et presque systématique, dans le cadre d’un calendrier républicain fixe et à priori non modulable. En conséquence, il est indispensable d’exiger l’encadrement juridique du report des élections et le respect des principes démocratiques.
Le 28 octobre 2019, le Gouvernement de la République du Sénégal a publié l’adoption d’un « projet de loi n°15/2019 portant report des élections prévues le 1er décembre 2019 et prorogation du mandat des conseillers départementaux et municipaux » qui doit être soumis à l’Assemblée Nationale.
Le contenu de ce projet de loi, qui rompt avec les énoncés des précédentes lois portant report des élections risque de dérégler le calendrier électoral républicain, de violer le principe de la souveraineté nationale, de bafouer le droit de suffrage des électeurs, de porter atteinte au principe de la libre administration des Collectivités territoriales, d’enfreindre le principe de la périodicité des consultations électorales, et de remettre en cause le principe de la sécurité juridique, notamment par l’absence de date fixe prévue pour le report de ces élections et le renvoi au pouvoir réglementaire pour intervenir dans un domaine réservé au pouvoir législatif.
L’énoncé du projet de loi soulève une question majeure : le législateur peut-il reporter les élections et proroger le mandat des élus territoriaux sans en déterminer, de manière précise, la période de renouvellement tout en laissant le soin au Président d’en décider discrétionnairement par décret ?
En décidant de proroger le mandat des conseillers départementaux et municipaux sans en fixer une limite, le législateur sort du cadre légal défini par l’article 67 de la Constitution et porte atteinte à la Constitution, au Code électoral et au Code général des Collectivités territoriales.
Face à cette anomalie, la société civile tient à alerter dans une perspective d’anticipation sur cette grave erreur qui risquerait de porter atteinte à la légalité et à la légitimité démocratique.
Il convient de souligner que la récurrence des reports, le prolongement des mandats, l’installation des délégations spéciales, ainsi que l’absence de date fixe (une nouveauté dangereuse) confortent inéluctablement la thèse de l’application de la légalité dérogatoire en matière d’élections locales. Il semble apparaitre que les pouvoirs publics ont mis en place deux options différentes dans le cadre de l’organisation des élections :
– Une première option soumise à la légalité normale, dans le cadre de l’organisation des élections présidentielles en vue de laquelle, le calendrier électoral et les lois et règlement relatifs au mandat et à la durée sont scrupuleusement respectés.
-Une seconde option semble être soumise à la légalité dérogatoire, créant in fine, les conditions de violation et de non-respect de la légalité normale dont le droit de suffrage des citoyens, la prorogation des mandats et l’insécurité juridique en constituent les manifestations les plus flagrantes.
Dès lors, il est apparu nécessaire d’inciter les pouvoirs publics à respecter la loi et le Code général des collectivités territoriales afin de consolider la démocratie locale et de donner une vraie signification au principe de la libre administration des collectivités territoriales dont la valeur constitutionnelle est consacrée.
Au Sénégal, ce qu’il est convenu désormais d’appeler le « dialogue politique » avait abouti en 1992 à une solution stabilisée lors de l’adoption du Code consensuel. Depuis cette période jusqu’à l’adoption du code de 2017 en passant par la Commission cellulaire qui a généré la création de la Commission Electorale Nationale Autonome (CENA), il est régulièrement institué des cadres de concertation multi-acteurs en vue de conduire, au mieux et dans des délais raisonnables (en moyenne deux 2 mois), à des réformes appropriées et adaptées devant garantir des élections démocratiques, transparentes et crédibles.
Dans la même dynamique, les différentes missions d’audit du fichier électoral (MAFE) initiées à l’approche des élections générales ont été conduites dans le respect du calendrier électoral.
Au vu de tout ce qui précède, il s’avère que les motifs invoqués pour le report sine die, des élections départementales et municipales et la prorogation des mandats des conseillers territoriaux élus le 29 juin 2014 ne visent ni l’intérêt général ni le respect des principes démocratiques encore moins le respect du droit fondamental de suffrage. Dès lors, il urge de fixer la tenue des élections dans un délai raisonnable qui n’entraîne pas une prorogation du mandat des élus territoriaux au-delà d’une année.
Sous ce rapport, la société civile, tout en saluant la mise en place de la commission cellulaire chargée du dialogue politique en cours, ne saurait accepter que celle-ci au nom d’un compromis remette en cause les principes démocratiques.
La société civile,
Fidèle à sa posture de sentinelle de la démocratie et consciente de son rôle de facilitateur du dialogue politique;
Considérant qu’au terme de l’article 102 de la Constitution les collectivités territoriales sont administrées par des assemblées élues ;
Considérant qu’en vertu des dispositions du Code Général des Collectivités Territoriales, la délégation spéciale ne peut être instituée de manière générale, que dès lors la voie de la prorogation du mandat des conseillers départementaux et municipaux par une loi devient l’unique procédure applicable en cas de report des élections ;
Considérant que dans un Etat de droit, garant de la démocratie, l’application de la légalité dérogatoire doit être assortie de conditionnalités et de raisons nettement sérieuses et suffisantes, sans lesquelles, la légalité normale s’impose.
Tenant compte des dispositions préparatoires aux élections telles que la révision des listes électorales, la production et la distribution des cartes d’électeurs, la collecte des parrainages, les déclarations de candidatures et la campagne électorale ;
Constatant le calendrier des fêtes nationales et religieuses ainsi que les périodes du carême et du ramadan ;
Consciente de la nécessité de parachever les réformes du système électoral par la définition d’un nouveau cadre juridique, institutionnel et organisationnel adapté et consensuel ;
Recommande :
1. La tenue des élections départementales et municipales au plus tard le dimanche 28 juin 2020 ;
2. L’évaluation de l’élection présidentielle du 24 février 2019 et l’élaboration des TDRs de l’audit du fichier électoral par la commission du dialogue politique au plus tard fin novembre 2019 ;
3. L’audit complémentaire du fichier électoral dans le courant décembre 2019-janvier 2020 ;
4. La révision exceptionnelle, la publication des listes électorales et le contentieux entre la mi-janvier et la mi-février 2020 ;
5. La sécurisation et l’encadrement de la durée du mandat des élus territoriaux par la Constitution.
Fait à Dakar, le 04 novembre 2019
Ont signé :
COSCE (Collectif des Organisations de la Société Civile pour les Elections)
ONDH
RADDHO
HANDICAP FORMEDUC
FORUM DU JUSTICIABLE
ONG 3D
PFAnE
AJED
URAC
OSIDEA
AFRIKAJOM Center
Mouhamadou Ngouda MBOUP, Enseignant-Chercheur
Dr Serigne Ahmadou GAYE, Enseignant-Chercheur
Ndiaga SYLLA, Expert Electoral