Créateur insatiable et averti, fin observateur de la nature, le sculpteur Ousmane Guèye est un «self-made-man». Sa trajectoire depuis l’école des Beaux-arts de Paris dans les années 70, n’a pas été de tout repos. Dans son pays, le Sénégal, où il souhaite réaliser du «monumental», il s’est heurté à tous les Présidents, hormis Senghor qui l’a détecté.
Trouvé à Ouagou Niaye 2, dans sa villa transformée en un petit musée, où il est donné aux visiteurs de voir des œuvres inédites et originales, Ousmane Guèye n’a rien à voir avec ces artistes plasticiens qui ont des rastas ou s’habillent en haillons.
Cet artiste est le prototype d’une expérience esthétique. Il s’habille simple et stylé et habite dans une maison ou un musée en ordre. L’œuvre colossal de cette figure emblématique de la sculpture sénégalaise est un art de concentration intellectuelle, de concept, de concision, de propreté.
L’itinéraire de ce produit de l’école des Beaux-arts de Paris, d’où il est sorti dans les années 70, est parsemé d’épreuves. Entre les expositions aux quatre coins du monde, les productions (NDLR : Voir notre édition de demain), la variété de son travail, les étapes de sa vie, la formation, les prix gagnés, il y a déjà plus qu’assez pour remplir des catalogues entiers.
«Senghor, ma bourse et la bagarre de deux ministres»
Né à Dakar en 1956, Ousmane Guèye a commencé la sculpture sur la pierre vers l’âge de 6 ans. Lors du Festival des arts nègres (FESMAN) de 1966, le Président Léopold Sédar Senghor, fasciné par ses créations, décide de lui octroyer une bourse pour aller poursuivre sa formation à l’Ecole supérieure des Beaux-arts de Paris.
Comme chez les romanciers, c’est le début de la crise. «Ousmane Sène, le ministre de la Culture, à l’époque, avait fait une lettre adressée au ministre de l’Enseignement supérieur d’alors, Ousmane Camara. Et par la suite, ce dernier m’a donné un billet sans argent pour aller dans une école où je n’étais pas inscrit, où il faut entrer par un concours d’entrée», se rappelle le sculpteur.
Par contre, le destin a fait que quand il a aidé un Allemand dans la cour de l’école, à couper un énorme bloc de marbre, il a été repéré par un des professeurs de l’école qui, non seulement lui a fait une lettre d’admission, mais l’a choisi comme massier (assistant).
«Je me suis heurté à un mur avec Abdou Diouf»
Il raconte : «Aliou Sène et Ousmane Camara étaient informés de la situation par un télex du centre français qui avait déploré les conditions dans lesquelles j’étais envoyé en France en plein hiver. Ousmane Camara a répondu : ‘Rapatriez-le’. Lui et Aliou Sène se sont insultés, ils se sont battus en plein Conseil des ministres. Et Senghor les a renvoyés tous les deux».
Après 8 ans à l’Ecole des Beaux-arts de Paris où il est sorti avec un diplôme supérieur d’art plastique, le développement de son art le mènera à l’Académie des arts de Rome pour étudier l’architecture et au Henry Moore Fondation en Angleterre.
Finalement, le jeune sculpteur décide de rentrer au Sénégal. Senghor n’était plus au pouvoir. Il avait promis à ce dernier l’aménagement de la corniche Ouest de Dakar à l’image de la promenade des Anglais à Nice. Egalement, l’aménagement de la Place de l’Indépendance comme la Tour Eiffel et la création d’un parc paysager de musée de sculpture monumentale en plein air.
Entretemps, son ambition a gonflé. Il voulait en effet aussi prendre les carrières de marbre à Bandafassi au sud du pays, pour en faire «l’Italie au Sénégal». C’est à dire transformer Tambacounda en une destination touristique.
Le projet «La forêt bleue» ignorée par Diouf et Wade
«Encore une fois, je me suis heurté à un mur avec Abdou Diouf. J’ai fait une émission de deux heures à ‘France Inter’ où j’ai critiqué fort Abdou Diouf. On m’a dit à l’époque, si vous venez, c’est ‘100 mètres’ directement. Je suis resté 12 ans sans venir au Sénégal. Après, ma famille a demandé pardon. Et Diouf a dit : ‘Il peut venir, mais je ne veux pas le voir’. Je suis rentré en 1991», narre le sculpteur.
Toujours est-il que le tonitruant sculpteur ne lâche pas prise. Il est revenu avec le projet «La forêt bleue». Un musée de sculpture monumentale en plein air à Nguékhokh, avec des baobabs. Ce projet devait être le premier parc paysager africain sur 150 ha pour une destination de 7 millions de touristes par an. Il y avait plus de 10 000 emplois attendus sur le site.
Mais ce projet ne verra jamais le jour, puisque son ami Abdoulaye Wade, à l’époque ministre d’Etat, qui lui avait promis de réaliser l’œuvre une fois au pouvoir, l’a finalement oublié quand il a accédé à la tête du pays. «Il m’avait dit : ‘Si Diouf n’adopte pas votre projet, je ferai un scandale international’», révèle-t-il.
«Mais lui-même une fois au pouvoir, il n’a rien fait. Au contraire, il m’a pris l’aménagement de la corniche, c’est mon projet depuis Senghor. Pendant 4 ans, je n’arrivais pas à le voir, ils ont tout bloqué», confie-t-il avec amertume.
«Ce que Wade m’a répondu sur mes projets pour la corniche Ouest»
Et sa rencontre finalement avec Wade a tenu toutes ses promesses. «Je lui ai montré mes projets sur la corniche Ouest, où je voulais faire un travail sur l’islam noir avec tous les chefs religieux qui sont ici. Quand il a regardé le projet, il m’a répondu : ‘Vous savez, les Sénégalais, ce sont des sauvages, ils vont pisser dessus’. J’étais choqué par ses propos», déclare-t-il.
«Babacar Touré de Sud FM est parti là-bas après le reportage sur le site, passé à la télé le jour du combat entre Tyson et Bombardier. Youssou Ndour, Yérim Sow, Idrissa Seck également. Le maire a vendu tous les terrains. Ce sont ces gens-là qui ont acheté. Soit ils ont acheté pour construire des hôtels pour capter ce flux de touristes annoncés, ou bien pour que je ne réalise pas le projet», dit-il.
Aujourd’hui, ce projet, Ousmane Guèye veut le réaliser à Mont-Rolland où il a déjà rencontré le maire. Sauf qu’à l’image des autres Présidents, il peine à rencontrer Macky Sall. Depuis 8 mois, il dit avoir rencontré 9 ministres, dont 5 ont déjà visité son musée. Mais les portes du Palais lui sont toujours fermées.
«Tant que je n’aurai pas vu le Président ou que j’entende de sa propre bouche qu’il n’a pas besoin de mon projet, je ne pourrai pas croire à tous ceux à qui je me suis adressé. Je me suis heurté à Diouf et à Wade, et aujourd’hui, je suis en train de subir la même chose avec Macky», lance le sculpteur.
«Je sais faire ce que les Blancs ne savent pas faire
Guèye de marteler : «Ce que j’ai acquis n’est rien d’autre qu’un don. Je sais faire ce que les Blancs ne savent pas faire. Il faut me donner la chance de faire ce que je sais faire. Je ne suis pas venu pour l’argent. Je suis en guerre pour que le Sénégal puisse être doté des choses les plus exceptionnelles avec le plus grand parc paysager du monde».
En tout cas, s’il est vrai que cet homme jouit d’une grande notoriété et d’un immense prestige hors de nos frontières, il n’en demeure pas moins qu’il tarde à gagner ses lettres de noblesse dans son pays, le Sénégal, pour lequel il souhaite réaliser du «monumental».
«C’est dommage qu’à chaque fois qu’un Sénégalais veut revenir au pays pour travailler, on lui conseille de ne pas venir. Vous allez voir, on va vous piquer votre projet et vous n’allez rien foutre. Je ne suis pas le seul à être dépossédé de ses projets. Mais il faut vraiment arrêter ça», clame l’artiste.