Par Mamadou Ndione
Une fine lecture du projet du candidat Bassirou Diomaye Faye montre, à l’instar des deux cornes d’un taureau, deux directions antagoniques : le réalisme par usurpation des pans du bilan du PSE et le populisme avec un chapelet de promesses irréalisables voire dangereuses.
Dans le programme, vous compterez au moins 92 fois le verbe « renforcer », souvent conjugué à la première personne du pluriel. Vous y trouverez également le verbe « augmenter » repris au moins 16 fois au moment où les verbes « réformer » et « instituer » n’y sont repris que 9 fois chacun. La prééminence des verbes « renforcer » et « augmenter » est la preuve que le programme de Diomaye s’appuie sur l’existant. On n’augmente et ne renforce que ce qui est déjà en place !
Face aux tangibles résultats du PSE, la pirouette des rédacteurs du programme de Diomaye a été de faire du PSE sans en faire. Alors, renforçons et augmentons théoriquement l’existant difficile à nier ! Nous épargnerons le lecteur de cet article de tous les exemples à profusion de copier-coller fait dans les 5 axes du programme qu’on nous vendait comme étant issu d’une longue réflexion.
faire du PSE sans le PSE
Après la longue litanie théorique de renforcement et d’augmentation des acquis du PSE sans dire comment et avec quelles ressources, il fallait aux rédacteurs du programme une grosse corne antagonique au taureau pour faire un gros buzz. Et paf voilà la monnaie made in Sénégal ! Cette surprenante promesse est brusquement née des cuisses de Jupiter de l’axe 2 dénommée pompeusement « Endogénéisation de l’économie et souveraineté alimentaire ». Question simple : Que vaudra cette monnaie strictement locale en dépit de la promesse de partie flottante ? Cette promesse strictement populiste est adossée à des conditions qui font qu’elle n’est pas pour demain ; sauf que les rédacteurs oublient de dire quand et comment. Nous savons tous qu’il ne suffit pas d’avoir une bonne forge et une imprimerie infaillible pour battre monnaie. Une monnaie crédible doit pouvoir être utilisée pour accéder aux devises dans le cadre des échanges internationaux. Pour ce faire, il faudra se plier aux décisions d’une banque centrale appliquant même vis-à-vis des États une rigueur monétaire en adéquation avec les politiques économiques. La monnaie n’est pas seulement le côté pile ou face de l’activité économique. Elle peut en être un instrument d’orientation heureuse ou de désorientation (pour ne pas dire de déstabilisation) économique et sociale malheureuse. C’est pour ne pas aller à l’aventure que l’Union Africaine a un agenda axé sur une démarche graduelle avec des monnaies uniques « de transition » autour des six sous-régions économiques avec un horizon de convergence monétaire connu de tous. Alors «lufi jarr daw ?» Pourquoi s’empresser ? Il est dangereux de vouloir faire du Sénégal un laboratoire cobaye de décisions irréfléchies fondées beaucoup plus sur l’idéologie que sur le sage pragmatisme qui n’occulte la réalité et la perspective.
Il fallait berner l’ego nationaliste, alors les rédacteurs de Diomaye servent ce plat monétaire en plus de l’impressionnante promesse de fusion des banques et instruments financiers de l’Etat ; en somme, mettre tous les œufs dans le même panier au risque de tout perdre. Cerise sur le gâteau de promesse, on nous apprend que le mammouth financier aura des filiales dans la diaspora. Encore une promesse saugrenue parce que les mouvements et flux financiers peuvent être captés sans présence physique bancaire alourdissante !
Vous en voulez encore ? Le comble des promesses populistes est dans l’axe 1 consacré à ce que les rédacteurs de Diomaye appelle « le renouveau institutionnel » avec la création du poste de vice-président élu en tandem avec le Président avec des prérogatives institutionnelles clairement réparties entre les deux. Nous savons tous que dans le contexte mondial actuel, un Président de la République doit avoir un pouvoir assumé. Si le Sénégal élit deux chefs de l’exécutif pour le même fauteuil, bonjour le blocage du pays. Nous l’avons frôlé en 1962 entre Senghor, Président de la République, et Mamadou Dia, Président du Conseil. Le pouvoir exécutif ne se partage pas : sauf s’il paraît trop lourd à porter par un candidat. Il est à parier que cette proposition de réforme conjoncturelle et électoraliste n’a sûrement pas été mûrement réfléchie par les alliés de la dernière heure de la Coalition Diomaye.
Dans un populisme ambiant, les rédacteurs de Diomaye proposent également la révocabilité du Président de la République. Ils prennent le soin de ne pas en préciser les modalités. C’est déjà un aveu de complexité de cette proposition « conflictogène », germe d’instabilité. Il en est de même de la litanie de promesses populistes de brusque remplacement du Conseil constitutionnel par une Cour constitutionnelle, de réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature, de réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, de remplacement de la CENA par une Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), de loi de protection des lanceurs d’alerte. Ces propositions pêle-mêle à senteurs électoralistes ont cette subtilité de se garder d’en préciser les contenus et modalités. Comme pour dire qu’il fallait du remplissage programmatique en attendant…
Le comble de la pâle et maladroite copie du PSE faite par les rédacteurs est à trouver dans l’axe 3 que la coalition Diomaye appelle « Capital humain et qualité de vie ». Les rédacteurs disent en plume qu’ils vont « imposer aux entreprises de la RSE en faveur des écoles ». Ils prennent le soin de renforcer (verbe à la mode) le recrutement d’enseignants pour résorber le gap d’ici 2029, de finaliser le programme « zéro abri provisoire » en 2029 et le Programme d’Appui à la Modernisation des Daaras (PAMOD) ainsi que la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE). Là au moins, les mots du PSE n’ont pas changé !
Pour faire du PSE sans le PSE, les rédacteurs de Diomaye proposent de changer le nom de la Couverture médicale universelle (CMU) qui sera baptisé en Couverture sanitaire universelle (CSU).
Dans un autre registre, les exemples notés dans les autres axes sont identiques en teneur à ceux de l’axe 4 intitulé «Innovation technologie et infrastructures durables». Dans cet axe, il y a encore un chapelet de vœux pieux sur des choses déjà faites. On trouve dans leur programme des reprises, sans gants, du genre mise en place de Data-center souverains, interopérabilité des réseaux, services et applications numériques, autoroutes, etc. Seule nouveauté, la réforme hasardeuse et inexpliquée de l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA) et l’Institut de Technologie Alimentaire (ITA) que les plumitifs de Diomaye veulent mettre sous la tutelle du Ministère de la recherche.
On attendait la géopolitique dans le programme de Diomaye, on l’a enfin dans l’axe 5 intitulé « Sécurité nationale et rayonnement international ». Enfin, ils reconnaissent dans leur programme textuellement que « le terrorisme est à nos portes » . Mieux vaut tard que jamais. Ils ont jusqu’ici ignoré que le terrorisme est déjà à Kayes, à 250 km de Tambacounda. Ils n’ignorent sans doute pas, les rédacteurs du programme de Diomaye, que si les terroristes intéressés par le dynamitage de nos modes de croyance et la conquête de nos ressources n’ont pas lancé leur grande offensive à l’est du pays, c’est parce qu’en Conseil national de défense et de sécurité, le Chef Suprême des armées veille et anticipe. Toutes les propositions faites par les rédacteurs du programme en matière de sécurité sont en place depuis dix ans.
D’ailleurs, instinctivement, les rédacteurs de Diomaye ont écrit ceci en aveux : «Le Sénégal dispose d’une architecture sécuritaire très efficace avec des forces de défense et de sécurité (FDS) qui jouent un rôle crucial dans la protection de la souveraineté nationale, la sécurité intérieure, la prévention du terrorisme et la lutte contre les menaces transfrontalières». Cette belle et véridique phrase est dans le constat fait par les rédacteurs de Diomaye. Ce qu’ils n’ont pas écrit (ou voulu écrire) par contre c’est que le Sénégal doit sa stabilité à ce choix souverain de sécurité endogène fait depuis plus de dix ans et qui est à préserver au-delà du 24 mars 2024. Si vous saviez ce qui a été fait pour garder notre souveraineté militaire même vis-à-vis de ceux qui se réclament être nos amis, vous auriez compris que notre sens du patriotisme sans tambours ni trompette dépasse les fanfaronnades de Facebook.
Il est temps de conclure. On peut dire après fine lecture du document de nos illustres compatriotes rédacteurs du Projet Diomaye, que c’est un ensemble hétéroclite fait de chapelets de promesses sur des choses déjà faites avec une bonne sauce populiste sur des sujets non maîtrisés. Inexpérience ou dol ? Donnons notre langue au chat.
Une chose est sûre, au lendemain de l’élection présidentielle du 24 mars 2024, dans l’intérêt de notre cher pays, il faudra à sa tête une personne équilibrée de la trempe de Amadou Ba pour préserver les acquis, corriger les imperfections et accélérer l’émergence et le développement du Sénégal dans la paix et la concorde. Dans le contexte actuel marqué par les assauts visibles et invisibles contre notre pays, faire fi de l’expérience et du sens de la mesure serait comme boire de l’eau pigmenté qui n’étanche pas une soif. Très honnêtement, Amadou est l’homme de la situation et nous le savons tous, tous clivages à part.
Que Dieu nous garde toutes et tous dans un Sénégal paisible. Ce Sénégal qui est notre Nation.
Maire de Diass