Cicodev appelle le gouvernement à relativiser la promotion de la privatisation des soins de santé au Sénégal

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L’Agence de Presse Sénégalaise nous apprend dans un article paru le 1er septembre 2020 et intitulé « Le partenariat FONSIS-IFC étendu au secteur de la santé » que Le Fonds souverain d’investissements stratégiques (FONSIS) et la Société financière internationale (IFC, Groupe de la Banque mondiale) ont convenu, aux termes d’un protocole d’accord, d’étendre leur coopération dans le domaine de la santé, pour la mise en œuvre des projets prioritaires et des partenariats public-privé (PPP). Pour rappel, le FONSIS est une société anonyme détenue à 100% par l’Etat du Sénégal et l’International Finance Corporation (IFC) constitue le bras d’investissement du secteur privé de la Banque mondiale. Le FONSIS et IFC donc, ont l’ambition de co-investir avec des privés dans des projets de cliniques ou d’hôpitaux privés visant à consolider le positionnement du Sénégal comme hub de services médicaux dans la région ouest africaine.

A défaut d’être repensée, la privatisation des soins de santé en Afrique et plus particulièrement au Sénégal doit être régulée pour plusieurs raisons que nous allons évoquer dans cette note analytique.

Dans un contexte marqué par la pandémie de Covid-19, l’urgence est de doter suffisamment de ressources aux établissements publics de santé pour leur permettre de faire face au nombre élevé de cas et assurer la continuité des services pour les autres maladies mais pas d’investir dans des infrastructures privées dont l’accessibilité géographique et financière ne sont pas garanties pour la majeure partie de la population sénégalaise composée des couches les plus vulnérables.

En rappel, les contrats PPP de l’IFC sont contestés par les organisations de la société civile OSC (partenaires du nord comme du sud) du fait qu’il existe un manque fondamental d’équilibre entre les intérêts privés et publics. Il est aussi reproché à ces PPP une incompréhension de certaines dispositions essentielles, telles que la force majeure, les indemnités de résiliation et le règlement des litiges. Les OSC soulignent également le déséquilibre observé sur les droits d’intervention des pouvoirs adjudicateurs, sur les événements de résiliation et sur la remise des actifs à la fin du contrat, qui sont rédigés d’une manière impartiale.

Les OSC réclament des contrats plus cohérents et équilibrés, qui définissent clairement les objectifs de développement durable du pays récipiendaire avec une répartition juste et équitable des risques et bénéfices, ainsi que des droits et des responsabilités entre les parties au contrat.

Il est aussi important de souligner que les contrats de PPP comportent aussi des risques budgétaires. Le Fmi soulignait déjà en 2004 que les PPP sont parfois utilisés pour contourner le contrôle des dépenses en déplaçant l’investissement public hors du budget, alors que c’est le gouvernement qui supporte la plupart des risques encourus du PPP et doit faire face à des coûts budgétaires supplémentaires potentiellement importants. En 2018, le FMI a publié une note sur la maîtrise des coûts budgétaires des PPP. La note a soulevé des inquiétudes sur les coûts, les risques et le manque de gains d’efficacité avérés des PPP. Elle note que «si à court terme, les PPP peuvent sembler moins chers que les investissements publics traditionnels, avec le temps, cependant, ils peuvent s’avérer plus coûteux et compromettre la viabilité budgétaire». La même note indique que «les risques budgétaires des PPP sont importants» car le coût budgétaire moyen des engagements conditionnels liés aux PPP qui s’est matérialisé entre 1990 et 2014 représentait environ 1,2% du PIB national des pays où des PPP avaient été contractés, et selon les auteurs, “avec l’utilisation croissante des PPP par les pays, la taille des risques associés est susceptible d’augmenter également.”

A part ces éléments dissuasifs, deux exemples patents de PPP dans le secteur de la santé doivent pousser les décideurs sénégalais à réfléchir davantage avant d’embarquer dans ce processus. Deux hôpitaux ont récemment été construits en Afrique par des entreprises privées à un coût largement supérieur à celui d’un hôpital public. En République démocratique du Congo, l’Hôpital du Cinquantenaire a coûté 100 millions de dollars (US) et dispose de 500 lits et d’équipements de pointe. Cependant, la consultation coûte entre 20 et 25 dollars (US), alors que la majorité de la population vit avec moins de 1,25 dollar (US) par jour. Au Lesotho, un nouvel hôpital a coûté au gouvernement 67 millions de dollars (US) par an. Alors que l’IFC avait prédit que le nouvel hôpital coûterait le même montant que l’hôpital public qu’il remplaçait. Mais en réalité, il a coûté au gouvernement 51 % du budget total pour la santé. Cela signifie pour ce pays, moins de ressources disponibles pour gérer les problèmes de santé surtout dans les zones rurales où vivent les trois quarts de la population.

Un rapport récent de l’IFC affirme que plus de la moitié des soins de santé en Afrique sont fournis par le secteur privé. En fait, l’analyse par Oxfam des données utilisées par l’IFC a trouvé que près de 40% de « l’offre privée » identifiée par cette dernière provient de petits magasins qui vendent des médicaments de qualité inconnue.

De l’urgence de réguler le financement des soins de santé dans les pays pauvres comme le Sénégal

Le Liban possède l’un des systèmes de santé les plus privatisés parmi les pays en développement, il dépense plus de deux fois ce que dépense le Sri Lanka pour les soins de santé et pourtant les taux de mortalité infantile et maternelle y sont respectivement deux fois et demi et trois fois plus élevé qu’au Sri Lanka. Le secteur privé participe fortement au système de santé du Chili ; ainsi ce pays possède-t-il l’un des taux les plus élevés au monde de naissances par césarienne, pourtant plus coûteuses et pas toujours nécessaires. Au Lesotho, des recherches ont révélé que seuls 37% des maladies sexuellement transmissibles avaient été traitées correctement par des prestataires privés sous contrat, en comparaison avec les 57 et 96% de cas traités correctement dans des centres publics de santé.

Les structures publiques de santé ont montré à suffisance qu’elles peuvent jouer un rôle prépondérant dans l’atteinte de la CSU en assurant l’accessibilité géographique, la disponibilité, l’abordabilité et l’acceptabilité des soins de santé.

Le chef de l’Etat a prévu un budget de 500 milliards sur la période (2020-2024) à investir dans le secteur. Dépensé de manière judicieuse, cet investissement peut constituer une bouffée d’oxygène pour le système. En plus des 4 nouveaux hôpitaux modernes à Kaffrine, Kédougou, Sédhiou et Touba. Tous ces investissements devraient contribuer à rendre notre système de santé plus résilient et plus fort.

S’il y’a un levier sur lequel il nous faut insister pour une gestion durable des biens et services publics, c’est d’ériger l’efficience dans la dépense publique, l’utilisation optimale des ressources publiques comme critère cardinal dans l’exécution de nos politiques publiques.

Si la pertinence du processus de privatisation des infrastructures de santé était avérée et socialement acceptable pour le gouvernement, alors CICODEV l’exhorte à mettre en place un organe de régulation indépendant et inclusif (impliquant la société civile) dès le début du processus. L’objectif étant de disposer d’un système de santé fort et durable, adéquatement ressourcé et répondant aux attentes des couches les plus vulnérables.

CICODEV Afrique.

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