Par Eliasse BASSENE
Les dirigeants africains sont invités ce jeudi, à participer à un sommet de deux jours à Saint-Pétersbourg. Des délégations de 49 pays y prennent part, dont une vingtaine de chefs d’État et de gouvernement, soit nettement moins qu’il y a 5 ans lors du premier sommet de ce type à Sotchi. Cette fois-ci, l’accord sur les céréales avec l’Ukraine, non prolongé par Moscou, devrait être au centre des débats.
Qu’entend proposer le président russe à ce sujet ? Il n’existe pas de liens forts entre la Russie et l’Afrique sur le plan économique. La Russie compte pour moins de 1% des investissements directs étrangers en Afrique et ne représente que 2% des échanges commerciaux sur le continent. En outre, le volume des échanges commerciaux de la Russie avec les pays d’Afrique est largement inférieur à celui des échanges avec les États-Unis, la Chine ou l’Union Européenne. La balance commerciale est parfaitement asymétrique. Et pour cause, la Russie exporte principalement des céréales (et dans une moindre mesure des combustibles) vers un petit groupe d’Etats africains, composé de l’Algérie et d’Égypte, mais aussi du Kenya, du Nigéria, du Soudan, de la Tanzanie et de l’Afrique du Sud. Toujours sur le registre des échanges, la Russie importe huit fois moins de marchandise en provenance d’Afrique qu’elle n’en exporte. Il est donc curieux d’entendre le président Poutine, déclarer en amont du sommet Russie-Afrique que: ” la Russie continuera à s’efforcer d’approvisionner l’Afrique en céréales, en produits alimentaires, en engrais et en autres biens.”
La volonté affichée par le maître du Kremlin de ne pas renouveler l’accord sur l’exportation des céréales ukrainiennes, va à coup sûr, entraîner une hausse significative du prix des céréales sur le marché international. Surtout que ce refus intervient dans un contexte où la Russie mobilise son artillerie pour attaquer massivement les ports et les entrepôts de céréales ukrainiens, afin que le pays ne puisse plus rien exporter. Nul doute qu’en parvenant à court ou à long terme, à rendre inopérationnelle les infrastructures destinées à l’exportation des produits céréaliers de l’Ukraine, Poutine va s’aménager un boulevard pour faire main basse sur le commerce mondial des céréales. Un tel scénario, va incontestablement accentuer davantage la dépendance de l’Afrique aux céréales russes. Et par ricochet, d’assoir l’influence de la Russie à l’échelle de tout le continent noir. C’est tout l’enjeu stratégique de ce sommet pour le président Poutine.
Mais, Poutine ne se bornera pas à brandir les céréales comme d’une arme dissuasive pour positionner son pays dans la géopolitique mondiale. La rencontre de Saint-Pétersbourg sera aussi mise à contribution, pour accroître la propagande du régime à l’intérieur de la fédération. Au regard de la taille et de la qualité des délégations africaines déployées à Saint-Pétersbourg, le président russe pourra désormais narguer les occidentaux en s’affichant fièrement sur la scène internationale. Autant affirmer que le plus grandiose apparat déployé au sein des splendides palais tsaristes aujourd’hui, n’obéit qu’à une seule et unique ambition: polir l’image de Poutine sur la scène internationale, en élevant le maître du Kremlin au rang de nouveau messie de l’Afrique.
Ainsi, ce sommet ne constituera pas un tournant historique. D’un côté, l’intérêt qu’il suscite est si grand, les attentes si élevées, et le tapage médiatique si énorme, qu’il faudra donner l’illusion de décisions significatives. Nous aurons certainement droit à une bonne dose de pathos et à moult témoignages de solidarité et d’estime mutuelles. La seule chose qui fera défaut ne sera autre que la levée urgente du blocus russe sur les céréales ukrainiennes dont l’Afrique a pourtant fort besoin pour son alimentation.