Après chaque changement de régime politique le mouvement migratoire des politiciens rappelle l’exode rural après la sécheresse des années 70. Dans le fond, ce qui pousse les hommes politiques à transhumer c’est exactement ce qui amène les jeunes à tenter l’émigration clandestine : l’espoir d’une vie meilleure. La seule différence c’est qu’il n y a pas de gardes-côtes pour rapatrier les transhumants politiques.
En économie, le modèle de Harris-Todaro et le modèle de Lewis permettent d’expliquer la transhumance politique. La transhumance pour des intérêts, une application du modèle de Harris-Todaro
Le modèle de Harris-Todaro (de John Harris et Michael Todaro) est bien connu en économie du développement depuis les années 70. Les auteurs expliquent la migration de la main d’œuvre du milieu rural vers le milieu urbain par deux facteurs : des revenus espérés plus élevés en milieu urbain et la baisse de la productivité agricole, sachant que l’agriculture était la principale source de revenus de ceux qui migrent.
Ramené à ce qu’il se passe dans le milieu politique on voit nettement que ceux qui quittent l’APR et ses anciens alliés espèrent avoir des positions plus confortables s’ils rejoignent Pastef et en même temps ont expérimenté une baisse d’avantages et de revenus depuis que Macky Sall a quitté le pouvoir. Ce n’est un secret pour personne, beaucoup de responsables politiques ne vivent que par les revenus de l’Etat et ne resteront jamais dans l’opposition. Même s’ils ont officiellement des entreprises, c’est par leur collaboration avec le pouvoir qu’ils décrochent des marchés, pas parce que leur entreprise est la meilleure.
Le modèle de LEWIS et la récupération de la main d’œuvre excédentaire de l’APR
En 1954, l’économiste Arthur Lewis a développé le modèle qui porte son nom, montrant comment se fait la transition d’une économie traditionnelle vers une économie moderne grâce à l’absorption d’une main d’œuvre oisive du secteur agricole (opposition). Cette main d’œuvre excédentaire est réutilisée dans le secteur industriel (pouvoir) qui en tire profit et opère des réinvestissements qui permettent d’absorber d’autres travailleurs (transhumants).
La sécheresse financière que certains nouveaux opposants ont connu depuis le changement de régime nécessite, de leur part, des stratégies d’atténuation et d’adaptation comme pour les changements climatiques. On ne assiste à un exode rural. La transhumance politique est comme un changement de technologie, une innovation. Les concernés sont souvent très ingénieux et trouvent toujours les mots pour justifier et les maux (dans le parti d’origine) pour expliquer le départ soudain. Il faut plus d’éthique dans la politique et ce que nous vivons actuellement doit amener les hommes et femmes politiques à avoir de la retenue, même dans l’adversité. Les chemins se croisent très souvent.
Pr Abou KANE
FASEG/UCAD